Histoire & Mémoire Militaire Alpine

Recherches sur le fait militaire en Savoie (1870 - 1962)

1917, Affaire Gachet : quand la désertion d’un poilu vire au mauvais vaudeville…

Carte postale humoristique de 14-18 (coll. privée)
Carte postale humoristique de 14-18 (coll. privée)

Face à la crise des effectifs de 1917 affectant la France lors de la Grande Guerre, la lutte contre la désertion devient très sévère : patrouilles, affiches, récompenses… Il s’agit de maintenir les effectifs du front, ainsi que le moral de l’arrière.

La frontière genevoise proche est toutefois tentante pour déserter lors d’une permission. Mais elle est fermée en 1916. En réalité, les déserteurs haut-savoyards se cachent souvent près de leur résidence civile, mais se pose immédiatement le problème de leur subsistance. Ils tentent de se faire embaucher, et le travail ne manque pas dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre permanente. Mais une circulaire préfectorale du 5 août 1917 menace de poursuites judiciaires les employeurs qui négligeraient de vérifier la situation militaire de leurs ouvriers français qui leur paraîtraient mobilisables par leur âge. Les déserteurs doivent parfois commettre des larcins pour survivre. A moins qu’ils ne bénéficient de complicité dans leur entourage.

Ainsi, le fantassin Jean Antoine, classe 1898, déserteur du 30e RI, a trouvé refuge tout près de son dépôt annécien. Emma-Marie Gachet, ménagère de quarante-trois ans dont la réputation « laissant à désirer » selon un rapport de police, vit seule avec un enfant à charge depuis la mobilisation de son mari. Elle a fait connaissance de ce déserteur et l’abrite dans son appartement au 4 rue des Annonciades depuis un mois et demi : « Il ne voyait personne, ne sortait jamais, et s’il se cachait lorsque quelqu’un venait, c’était pour empêcher les langues de causer » déclare-t-elle lors de son interrogatoire. « Je ne me suis pas rendu compte qu’il pouvait être déserteur et qu’en le gardant chez moi je pouvais être inquiétée ». Elle aurait cru avoir à faire à un soldat en convalescence pour deux mois.

Le soldat déserteur Antoine est arrêté le 8 février 1917 par des policiers au cours d’une scène « vaudevillienne » : ils constatent dans le lit ouvert la forme laissée par deux corps dont les places étaient « encore chaudes », et caché dessous, « un individu en chemise et en caleçon ». Pour expliquer sa présence en si mauvaise posture, il explique qu’il a demandé la veille l’hospitalité à Mme Gachet, et « croyant que c’était le mari qui arrivait, il s’était caché sous le lit ». Ainsi surpris, il ment sur son nom et sa situation militaire, en déclarant qu’il détient une permission de sept jours dont il a perdu le titre avec son livret militaire. Il n’aurait dormi que deux nuits chez le couple Gachet qu’il connaissait, précisant « bien que vous ayez trouvé les deux places chaudes, j’étais couché tout seul et la femme Gachet avait couché avec son petit dans la cuisine »... Selon lui, il se proposait de retourner justement à la caserne Decoux, dépôt du 30e RI, dès le lendemain. Mais, lors de la fouille, les policiers ont également découvert son livret militaire soi-disant « perdu ».

Une fois emmené au commissariat, le déserteur Jean Antoine avoue qu’il aurait dû rejoindre le 14e Groupe spécial (une unité disciplinaire) au Maroc suite à une sanction de soixante jours de prison militaire pour un premier retard, mais il s’est arrêté en chemin à Lyon pour rendre visite à son ex-fiancée sans voir le délai s’écouler. « J’ai alors pris peur et ne suis plus rentré », déclare-t-il. La peine pour ses retards galants n’est pas précisée par le dossier judiciaire. Concernant Mme Gachet, la situation est claire pour la police : « Elle avait pris depuis cinq mois le sieur Bouchet comme amant et le nourrissait ». Elle est accusée de « recel de déserteur » et condamnée à un mois de prison avec sursis.

Source : ADHS, Série U, Affaire Gachet.

Par Sébastien Chatillon Calonne, 2025

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