Défilé de chasseurs à New York City en 1918
L’événement est peu connu alors qu’il constitua à l'époque une magnifique opération de communication : des chasseurs alpins triés sur le volet reçurent la mission pour le moins originale de motiver nos nouveaux alliés états-uniens à souscrire au 3e emprunt « pour la liberté » lancé par leur président Voodrow Wilson.
Pas de dollars à dépenser, pas de contacts féminins. Les règles sont strictes. Peu importe, les 91 soldats et 3 officiers sélectionnés sont ravis. Ainsi, le 29 avril 1918, une petite centaine de chasseurs alpins, blessés et décorés, menés par le lieutenant Le Moal du 11e BCA annécien, débarquent du paquebot Rochambeau… à New York City ! Parmi eux se trouve le chasseur Ernest Agnellet, originaire de la Clusaz. Accueillis par un concert de musique militaire, ils défilent devant une foule en délire, marquée par leur uniforme bleu sombre. Certes, les exploits des « blue devils » étaient déjà suivis avec passion par le public d’Outre-Atlantique via la presse. Mais l’engouement autour de leur présence va leur ouvrir toutes les portes : ils visitent les ports de guerre, les camps d’entrainement de leur alliés « sammies » ainsi que des dizaines de villes ; ils sont même reçus à la mairie de New York, à l’école militaire de West-point, jusqu’à la Maison-Blanche. C’est une véritable tournée triomphale qui célèbre les alpins : défilés à pied ou en voiture, soirées de gala, rencontres prestigieuses se succèdent dans toute l’Amérique du Nord, le Canada les réclamant à son tour au mois de juin 1918. A Toronto, ils défilent devant 10 000 personnes puis rencontrent avec émotion deux anciens combattants canadiens ayant survécu à la Bataille de Vimy.
Le détachement à peine sorti de l’enfer des tranchées parcourt avec émerveillement des milliers de kilomètres en train spécial et fait au total 150 apparitions publiques. Le résultat dépasse d’ailleurs toutes espérances, les « diables bleus » lèvent également des fonds pour diverses causes humanitaires, de la Croix-Rouge aux blessés de guerre, tant leur « capital sympathie » est élevé. Cette visite laissera même des traces dans l’imaginaire collectif : inspirées par le courage de ces hommes, de nombreuses équipes sportives états-uniennes ont traduit le surnom de ces chasseurs alpins, tels les Duke Blue Devils en Caroline du Nord... Mais les meilleures choses ont une fin : il faut rembarquer le 7 juillet à New York après un dernier défilé, pour un retour à Bordeaux le 17 juin. Mission accomplie : le financement de l’effort de guerre des USA a été dopé par cette visite de nos alpins chez l'Oncle Sam. Quant au chasseur Ernest Agnellet, une fois rentré au pays, il sera surnommé "l'Américain" par son entourage suite à cette expérience peu commune !
Sources :
- L. Demouzon, Les chasseurs alpins, 2022, tome 2.
- L.D.L. du 20.04.2023, Ernest Agnellet, un chasseur alpin parti des Aravis pour défiler aux Etats-Unis.
- Site : marccormier.org/fr/2020/05/30/quand-larmee-francaise-defilait-canada/
Par Sébastien Chatillon Calonne