Histoire & Mémoire Militaire Alpine

Recherches sur le fait militaire en Savoie (1870 - 1962)

Albert Morin, vétéran canadien de la bataille du Saint-Laurent 

carte centenaire Albert Morin vétéran canadien
carte centenaire Albert Morin vétéran canadien

Le forum d’amateurs d’histoire militaire et de collectionneurs, Passion Militaria, a souhaité rendre un hommage au vétéran canadien Albert Morin à l’occasion de son centième anniversaire. L’association Histoire et Mémoire Militaire Alpine s’est jointe au forum et lui a envoyé une carte de félicitations et de remerciements.

 

Qui était Albert Morin et quel était son rôle durant la dernière guerre ?

Albert s’engage dans l’armée canadienne en 1942 à l’âge de 19 ans, rejoint l’infanterie et reçoit un entraînement intensif qui durera 2 ans. Il est envoyé dans la Garde Côtière et occupe le poste d’assistant-tireur de l’équipage d’un brise-glace, le NB McLean. Ce navire a été construit en 1930 aux chantiers de Halifax pour le compte du ministère des transports canadiens. Long de près de 80 mètres, il est propulsé par 2 moteurs à vapeurs de 6 cylindres qui développent une puissance totale de 6.500 chevaux. Deux hélices permettent d’atteindre une vitesse de 13 nœuds (environ 25 kms/heure). Il sera retiré du service opérationnel en 1979. A bord de ce navire, Albert participera à de nombreuses patrouilles en mer, sur la côte atlantique, missions essentielles pour la défense du pays mais aussi pour la victoire des alliés.

Albert se souvient de ce climat tendu lié à la possible présence des sous-marins ennemis. Il se rappelle que certains se sont rendu presque « jusqu’à l’île d’Orléans » et donc jusqu’à Québec. Plusieurs sont aperçus au large de l’île du Bic. Le vétéran se souvient que la menace est prise très au sérieux : « des canons étaient installés de chaque côté de l’embouchure du Saint-Laurent ».

C’est pour Albert, comme pour ses camarades, « des moments de peur. Comme tout le monde, j’avais peur (…) c’était la guerre ! ». Albert sait que le risque est important, et qu’en cas de combat avec un sous-marin, les chances de survie pour l’équipage du brise-glace sont réduites. Albert a déjà perdu des camarades : « certains de mes copains ont été à la guerre, se battre en Europe. J’ai perdu des amis ».

 

Le Canada dans la guerre de 39-45

Durant la seconde guerre mondiale, se sont enrôlés un million de Canadiens et 50.000 Canadiennes. On dénombrera environ 50.000 morts, 53.000 blessés, 8300 prisonniers. 100.000 personnes hommes et femmes rejoignent la Marine Royale Canadienne qui comptera 2.000 pertes humaines et 752 membres de l’Aviation Royale Canadienne en cours d’opérations navales. Si le Canada entre en guerre aux côtés des alliés le 10 décembre 1939, ce n’est que le 12 mai 1942 que surgissent les redoutables U-Boote de l’Amiral Karl Donitz le long des côtes canadiennes. Pourquoi si tardivement ? Rappelons quelques faits.

Les Japonais, après avoir envahi la Mandchourie puis la Chine, menacent les intérêts américains dans le Pacifique d’où les sanctions économiques des USA avec un embargo total sur le pétrole, les minerais et le caoutchouc à destination du Japon. A la suite de quoi le Japon attaque une partie de la flotte américaine basée à Pearl Harbor en décembre 1941. Ce qui change la donne. Les Etats-Unis, qui fournissaient du matériel à l’Allemagne notamment Ford et GM et dont l’opinion publique était jusque-là non interventionniste (America First), déclarent la guerre à l’Allemagne. La priorité de Roosevelt est d’abattre l’Allemagne en pensant que le Japon tomberait à sa suite. Pour gagner la guerre, les américains décuplent leur production militaire et deviennent « l’arsenal » des alliés. En juin 1942 les USA mettent un terme à l’expansionnisme nippon dans le Pacifique lors d’une gigantesque bataille aéronavale devant les îles Midway et peuvent ainsi déployer leurs forces dans l’Atlantique Nord. L’intensification de la guerre en Europe demande une intensification des renforts en matériel et en ravitaillement pour les populations civiles. Les ports le long du Saint-Laurent sont « la clé de voûte » de ces activités de ravitaillement, Montréal, Trois Rivières, Québec. C’est pourquoi l’Allemagne s’attaque à l’Amérique dans le golfe du Saint-Laurent mais elle s’attaquera aussi et de façon beaucoup plus meurtrière dans le golfe du Mexique, véritable hécatombe en s’en prenant aux pétroliers qui venaient du Venezuela.

 

La bataille du Saint-Laurent

La bataille du Saint Laurent n’est pas à proprement parler une bataille mais une série d’incursions des sous-marins allemands dans le fleuve. L’objectif principal étant de faire cesser tout approvisionnement en direction de la Grande Bretagne et des alliés. Le golfe ne comporte que 2 sorties, le détroit de Belle Ile et celui de Cabot.

Dans un témoignage vidéo, le capitaine à la retraite de l’Armée canadienne du Québec Jacques Bouchard explique que ce n’est pas une nouveauté pour les Canadiens de voir des sous-marins allemands « marauder » selon son expression au large de leurs côtes. En 1916 déjà. Dans les années 1935-40 le Canada construisait des sous-marins et avait reçu des dons de la Grande Bretagne après 14/18 qui n’étaient pas très performants. Cependant l’arme sous-marine était connue des Canadiens depuis une trentaine d’années.

Les sous-marins allemands en 1939 n’avaient pas la capacité de naviguer sous l’eau tout le temps parce qu’ils fonctionnaient au diesel et demandaient de l’air. Le rejet des diesels devait se faire hors de l’eau. Les sous-marins allemands, explique le capitaine Jacques Bouchard, naviguaient surtout en surface au début de la guerre. C’est à partir de 1943 qu’ils purent naviguer à l’électricité grâce aux schnorchel, invention hollandaise récupérée par les Allemands qui consiste en un tube hissable permettant au sous-marin de s’approvisionner en air frais lorsque celui-ci se trouve à l’immersion périscopique et de faire fonctionner ses moteurs diesel et recharger ses batteries tout en restant immergé, le moins visible possible.

De plus les sous-marins allemands avaient l’habitude d’attaquer « en meute de loups » pour mieux détruire les convois. Dans le Saint Laurent c’est plus difficile. Ils attaquaient en salve, méthode assez peu efficace. Transportant une quinzaine de torpilles à bord et d’autres en « valise » à l’extérieur, ils pouvaient tirer 4 torpilles en même temps et espérer qu’il y en ait 2 qui touchent un navire, d’où une efficacité relative, d’autant plus que l’Amiral Donitz qui commandait la bataille disposait de peu de sous-marins. Il en voulait 300 mais n’avait pu convaincre Hitler.

Les Canadiens savent que les sous-marins allemands peuvent quitter leurs bases et traverser l’atlantique, attaquer et repartir sans être obligé de se ravitailler en carburant. Le 1er mai 1942 à Gaspé la Marine inaugure une nouvelle base, le VCSM Fort Ramsay dotée d’un seul vaisseau de 18 mètres et d’aucun avion… Quelques jours après l’ouverture de cette base, l’attaque commence. Les navires marchands sombrent les uns après les autres. Un membre d’équipage déclare : « Aucun artilleur ne montait la garde (…) Nous ne recourions jamais à une vigie dans le fleuve Saint-Laurent et nous ne devions commencer à faire le guet que le lendemain du jour où nous avons coulé. » Les convois reprennent cette fois protégés par des escortes navales et une surveillance aérienne renforcées. Malgré ces dispositifs qui réduisent le carnage, les attaques se poursuivent, la dernière datant d’octobre 1942, le traversier SS Caribou ayant à son bord 237 passagers et membres d’équipage. Ce fut le 21e navire à être coulé au cours d’une période de 6 mois. Les progrès de la collecte de renseignement et l’efficacité sans cesse croissante des patrouilles aériennes et navales finissent par inverser la tendance. Au total plus de 400 convois composés de 2 200 navires remplissent leur mission de ravitaillement d’outre-mer, essentielle à l’effort de guerre.

 

Le bilan

22 ou 23 (suivant les sources) navires sombrèrent au Canada dont 16 au Québec entraînant la perte de centaines de vies. 147 membres de la Marine Royale canadienne, 89 membres de la marine marchande canadienne ou alliée et 136 passagers du SS Caribou. En face, des sous-marins allemands ont été touchés mais aucun n’a été coulé. Pour Albert Morin, le soulagement arrive début mai 1945, lorsque l’Allemagne nazie rend les armes. Il en sort vivant mais blessé : alors qu’il se trouve à son poste, il a le tympan percé après qu’un tir « ait été déclenché trop près de son oreille ». Après la fin de la guerre, Albert fera sa carrière dans la marine royale canadienne ! De matelot, il va grandir les échelons jusqu’à finir officier, comme capitaine ! Il va faire toute sa carrière sur les brise-glaces ! « Avec la marine, j’ai vu tellement de pays, tellement d’endroits ! ». Il n’oublie pas ses camarades disparus, même dans sa vie de tous les jours. Pour lui le devoir de mémoire est très important. Et il finit en lançant un message aux jeunes générations : « rentrez dans l’armée, formez-vous ! ». A bon entendeur… Albert a reçu plus de 400 cartes venues des 4 coins de la planète et a été ému jusqu’au larmes.

Hommage à toi Albert ! Hommage à tous ceux qui ont avec courage bravé la mort pour lutter contre une tyrannie sanguinaire sans foi ni loi.

 

Bibliographie de la bataille du Saint-Laurent :

« La bataille du Saint-Laurent », dans DOUGLAS, W. A. B., et al., Rien de plus noble : histoire officielle de la Marine royale du Canada pendant la Deuxième guerre mondiale, 1939-1943, volume 2, partie 1, St. Catharines, Vanwell Pub., 2002, p. 473-528.

KIROUAC, André, « Un hommage aux marins d’origine hellénique décédés au cours de la bataille du Saint-Laurent », Magazine Gaspésie, vol. 40, no 2, hiver 2004, p.2.

GREENFIELD, Nathan M., « La bataille que le Canada a choisi d’oublier », Magazine Gaspésie, vol. 40, no 1, été 2003, p. 29-30.

GREENFIELD, Nathan M., The Battle of the St. Lawrence, Scarborough, Harper Collins Publishers, 2004, 286 p.

HADLEY, Michael L., U-boats Against Canada: German Submarines in Canadian Waters, Kingston, Ont.: McGill-Queen’s University Press, c1985, 416 p.

HADLEY, Michael L., « La bataille du Saint-Laurent », Magazine Gaspésie, vol. 40, no 1, été 2003, p. 15-19.

SARTY, Roger, « Une défaite presque totale pour le Canada ? », Magazine Gaspésie, vol. 40, no 1, été 2003, p. 31-35.

SARTY, Roger, War in the St. Lawrence: the Forgotten U-Boat Battles on Canada’s Shores, Toronto, Allen Lane, 2012, 355 p.

TRÉPANIER, Louis, « 1942 : la Bataille du Saint-Laurent », Revue d’histoire du Bas Saint-Laurent, vol. 9, no 3, octobre-décembre 1983, p. 85-96.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_Saint-Laurent

L’été 1943 : un épisode de la bataille du Saint-Laurent. Surveillance, défense et propagande, http://www.journal.forces.gc.ca/vo7/no1/history-histoire-01-fra.asp

Encyclopédie canadienne La bataille du Saint Laurent

Flickr.com La bataille du Saint Laurent 118 photos Musée naval du Quebec

https://www.canada.ca/fr/marine/organisation/histoire-patrimoine/bataille-atlantique/1939-1945.html

vimeo.com (80ème anniversaire de la bataille du Saint Laurent)

 

 

Par Catherine Décisier, 2023

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