Histoire & Mémoire Militaire Alpine

Recherches sur le fait militaire en Savoie (1870 - 1962)

Charles Maume, de l’artillerie d’Afrique à l’Armée de l’Air (1937-1963)

Charles Maume
Charles Maume

La biographie présentée ci-dessous, n’est pas celle d’un militaire galonné, ni d’un héros de guerre mais celle d’un jeune et modeste militaire français dont les rêves d’évasion urbaine et d’aventures l’ont propulsé en Afrique du nord puis dans l’armée de Vichy et la Résistance. À la fin de la Seconde Guerre, on le retrouve en Allemagne, en Indochine puis dans les Pays de Savoie, au bord du lac du Bourget.

 

Artilleur dans l’armée d’Afrique (Maroc)

Modeste employé de bureau dans la région parisienne, Charles, Jean Maume, né le 6 avril 1919 à Genlis (Côte d’Or), rêve d’aventures. Le 27 avril 1937, il signe un engagement au 64e régiment d’artillerie d’Afrique (RAA) pour une durée de trois ans. Embarqué à Bordeaux, il arrive à Casablanca (Maroc) le 30 avril 1937 où il est incorporé en tant que canonnier de 2e classe à la batterie de dépôt du 64e RAA. Durant l’été 1937, à la suite d’un problème médical, il doit être admis une quinzaine de jours à l’infirmerie du Corps.

Durant la Grande Guerre, le 64e RAA, créé le 1er octobre 1917, portait le nom de 64e régiment d’artillerie de défense contre les aéronefs (DCA) et était chargé de la défense aérienne du camp retranché de Paris. Pendant l’entre-deux- guerres, la défense du territoire national contre les avions n’est plus une priorité pour les états-majors. En 1924, lors de la réorganisation de l’artillerie de l’Armée de Terre, sont formés les deux premiers régiments d’artillerie d’Afrique. Le 64e RAA participe alors à l’achèvement de la pacification du Maroc, devenu protectorat français. Il se bat en métropole au sein de la 1erè Division Marocaine lors de la campagne de France (mai-juin 1940).

Notre jeune canonnier est affecté successivement, à la 11e batterie, 7e batterie et 8e batterie, dans la région de Fès (Maroc. C’est à El Hajeb (région de Fès-Meknès) qu’il suit sa formation d’artilleur en fréquentant en mars 1939 et mai 1940, les cours de l’école d’artillerie (Artillerie à Feu). En août 1939, de nouveaux problèmes de santé lui imposent un séjour à l’hôpital militaire d’El Hajeb. C’est au Maroc, qu’il est nommé temporairement brigadier le 1er avril 1940 à la 8e batterie du nouveau 63e RAA. Plus tard, les grades de brigadier et brigadier-chef lui seront confirmés en France, le 2 février 1942 et le 25 novembre 1942 au sein du 2e R.A.M de l’armée de Vichy.

Lors de la signature de l’armistice du 22 juin 1940, les Allemands imposent à la France une démobilisation partielle de ses troupes. Le 26 septembre 1940, le canonnier Maume est démobilisé sur place, au Maroc. Le 1er octobre 1940, il embarque à Casablanca et arrive le 3 octobre 1940 à Port-Vendres. Le jour suivant, il regagne son foyer parisien en zone occupée. Dès novembre 1940, l’Allemagne autorise le nouveau gouvernent français de Pétain à reconstituer, en zone non occupée (ZnO), une armée de transition ou armée d’armistice de cent à cent vingt mille hommes en métropole et de deux cent vingt mille en Afrique. Les candidats ne se bousculent guère dans les bureaux d’engagement.

 

Artilleur dans l’Armée d’armistice

Durant l’été 1941, l’ex-artilleur, sans emploi, décide de quitter la zone occupée (ZO) afin de se rendre à Lyon. L’année 1941 est marquée d’une intense campagne de recrutement par le gouvernement de Vichy afin d’attirer des volontaires au sein de sa nouvelle armée.

Le 15 septembre 1941, Maume signe un nouvel engagement pour une durée de trois ans auprès de l’intendance de Lyon. Le 27 septembre 1941, il est affecté à Grenoble au 2e régiment d’artillerie de montagne (RAM). Ces artilleurs suivent un entrainement hiver-été dans les montagnes environnantes. Ils participent aussi aux travaux agricoles au sein de leur ferme école implantée sur la colline du Mûrier, non loin de Gières. Les grades de brigadier et brigadier-chef lui sont confirmés en France, les 2 février 1942 et 25 novembre 1942 au sein du 2e R.A.M de l’armée de Vichy. Au début de l’année 1942, Maume qui appartient maintenant au 2e Groupe de la 6e batterie se blesse en montagne lors d'une manoeuvre régimentaire. Le 26 septembre 1942, il trouve le temps de se marier à Lyon.

Le 2e RA est un des plus vieux régiments de l’artillerie française. Créé en 1720, on le trouve sur tous les champs de batailles de l’ancien régime, des empires et lors des deux conflits mondiaux. En 1934, il reprend sa vocation alpine, tenant, en temps de paix, garnisons à Grenoble et Chambéry. Il sera le régiment organique de la 28e Division d’infanterie alpine (DIA). À la suite de la défaite de juin 1940, il est maintenu dans l’Armée d’armistice en zone non occupée. Le 1er septembre 1940, avec peu de moyens, deux groupes d’artillerie subsistent à Grenoble et un hippomobile à Lyon dépendant du 1er Groupe de la Divion militaire d’Avignon. Durant cette période difficile, l’instruction montagne se poursuit uniquement avec du personnel engagé.

Le débarquement des Alliés, le 8 novembre 1942, en Afrique du nord provoque l’occupation totale de la zone libre par les troupes allemandes. Le 28 novembre 1942, sur ordre du Führer, l’Armée d’armistice et particulièrement ses groupements de DCA (Défense contre les aéronefs), sont dissous. Le 1er mars 1943, le brigadier-chef Maume du 2e RAM est placé en congé d’armistice. En janvier 1943, le gouvernement français propose aux Allemands de reconstituer une nouvelle armée française. Février 1943, Berlin donne une réponse favorable à cette demande à la condition qu’elle soit uniquement composée d’une défense aérienne du territoire placée sous la tutelle du commandement de l’aviation allemande (3e flotte aérienne de la Luftwaffe). Début mars 1943, les Allemands ajoutent une nouvelle exigence à la formation des groupes et batteries de DCA : la création d’une défense antiaérienne ferroviaire (DCAF) pour la zone nord. Le 11 mars 1943, Laval accepte dans la totalité les « suggestions » de Berlin. Dans le cadre de cette restructuration, des centres d’organisation de l’artillerie et de défense contre les aéronefs (COA-DCA) sont créés dans l’ex-zone libre.

Le 15 mai 1943, sont ouverts au camp de Fay-Segry, près de l’aérodrome d’Issoudun (Indre), deux groupes d’artillerie antiaérienne à six batteries (canons de 25 mm) où des volontaires venus de l’infanterie ou de cavalerie de l’ex-Armée d’armistice sont formés, en quelques semaines, par des instructeurs allemands. Le 1er juin 1943, le brigadier-chef Maume est rappelé par Vichy à l’activité. Le 8 août 1943, il est affecté à la 4e batterie du Centre de DCA d’Issoudun. Le moral des militaires français au sein de ces unité est mauvais. Les demandes de mutations et de congés sont nombreuses ainsi que les désertions. Notons, pour l’anecdote, que la batterie de DCA dans laquelle est affecté notre brigadier-chef aurait abattue un avion allemand, par mégarde ou distraction, au grand dam de l’occupant. Le 27 novembre 1943, devant les piètres résultats opérationnels obtenus, l’occupant ordonne la fermeture du centre de Fay-Segry et la dissolution de la défense antiaérienne ferroviaire (DCAF) sur l’ensemble du territoire français. Une nouvelle fois, Maume est placé en congé d’armistice.

Depuis 1943, Maume ne cache pas, en aparté, son hostilité envers les Allemands et le gouvernement de Laval. Dès cette époque, il semble avoir entretenu des contacts avec la dissidence par le biais de certains militaires de son unité, membres de l’Armée Secrète (AS). Le 29 mai1944, devant l’urgence de la situation militaire, Maume est rappelé et muté à Valence (Drôme) au Relais des Transmissions (R.T 13/71). Ce service, situé dans le sous-sol de la Poste centrale, est géré par des français sous la surveillance de techniciens allemands. Ses amis de la résistance drômoise demandent à Maume d’accepter cette affectation afin qu’il entre en contact, sur place, avec d’anciens militaires français et en particulier avec l’adjudant Maisonneuve travaillant pour les maquis régionaux. Le R.T 13/71 semble dépendre du Service des Contrôles Techniques[1] du département de la Drôme. Il existe un SCT dans chaque département composé en générale de fonctionnaires et de militaires en congés d’armistice (policiers, officiers, sous-officiers et agents des PTT).

Lors de son séjour au RT 13/71, sous les ordres de l’adjudant Maisonneuve, en compagnie d’autres résistants, il participe aux branchements techniques du poste d’écoute allemand du centre téléphonique de Valence. Les informations ainsi obtenues sont transmises directement aux Forces françaises de l’intérieur (FFI) via la Compagnie Paul Pons, dont il dépend. Il participe clandestinement aux transports et à la répartition d’armes destinées au réseau arménien local. Le groupe de résistance (adjudant Maisonneuve) auquel il appartient est chargé de la formation militaire de jeunes civils ayant rejoint la dissidence. Sous les ordres du sous-lieutenant Maurice, il effectue de nombreuses patrouilles clandestines afin de procéder à des repérages topographiques dans le cadre du futur débarquement de Provence.

 

Sergent FFI à la Compagnie Paul Pons de la Drôme

Le 6 juin 1944, Maume rejoint les FFI de la Drôme alors engagés dans des combats d’harcèlement autour de Crest-Livron-sur-Drôme. Le 10 juin 1944, il est affecté sous le matricule FFI-CPP 261 à la Compagnie Pons dépendant du réseau de résistance anglo-saxon Buckmaster[2], section Maurice (sous-lieutenant Guyon) du 1er Régiment de la Drôme. Le 20 juin 1944, notre ex-artilleur est promu temporairement au grade de sergent-FFI.

La Compagnie Pons a été constituée dès 1943 par Paul Pons, un Drômois de 47 ans. Ancien de la marine nationale durant la Première Guerre mondiale puis capitaine de la marine marchande durant l’entre-deux guerres, sa compagnie se distingue par la réception de parachutages (surtout anglais), du camouflage d’armes et de sabotages dans la région drômoise. En août 1944, à l’arrivée des Alliés de la Task Force, la Compagnie Paul Pons participe à « l’éclairage » de la progression des troupes américaines dans la région.

Au sein de sa section, le sergent Maume participe aux combats des 21, 22, 23, 24 et 31 août 1944 dans les environs de Valence et plus particulièrement aux nettoyages des poches de la résistance Allemande du « Pont des Anglais ». Lors de l’opération du 31 août 1944, il voit un adjudant et un sergent de sa compagnie, ses frères d’armes, tomber blessés au feu près de lui. Le 1er septembre 1944, jour de la libération de la Drôme, Maume est rattaché officiellement à l’Armée Secrète (AS).

 

Une nouvelle carrière militaire dans l’Armée de l’air

Le 1er octobre 1944, l’ex-sergent-FFI est définitivement nommé sergent dans l’Armée française après avoir signer un nouvel engagement de deux années pour l’Armée de l’air auprès du CRAP 203 (Centre de rassemblement et de l’Administration du Personnel). Le 25 novembre 1944, il est affecté à Valence au Dépôt du Personnel Air n° 214. Désormais, la majeure partie de sa carrière militaire en tant que personnel non naviguant du service général (PNNSG) se déroulera en Savoie, hormis quelques séjours passés en Allemagne dans l’ex-République Fédérale Allemande et en Asie dans l’ex-Indochine française.

Le 5 octobre 1946, il est affecté à la base école de l’armée de l’air de Chambéry/Le Bourget du lac* afin d’y suivre une formation militaire et de spécialisations-notamment de fusiliers de l’air. C’est à la sortie de la Seconde Guerre mondiale que l’Armée de l’air y créa des unités du corps des fusiliers de l’air, chargées de la protection des aéronefs et de leurs bases.

La base école savoyarde de Chambéry/Le Bourget : une histoire originale

Dès 1929, le savoyard Pierre Cot[3], député de la Savoie en 1928 et membre de la commission des affaires étrangères, avait proposé l’implantation dans la zone marécageuse au sud du lac du Bourget, d’un terrain de secours pour les avions militaires de type Breguet 27. Les travaux ne commenceront qu’en 1935 et la remise en service de la piste ne s’effectuera qu’en août 1944.

Le 1er juillet 1946, la base école de Chambéry doit former, les comptables, l’aide à la préparation du personnel navigant et les cadres du service général. En octobre 1950, le site aéronautique du Bourget du Lac voit la création du centre d’entrainement au vol montagne puis, en 1956, la création de la division d’instruction sur hélicoptères. Ce terrain aéronautique connaîtra, avant sa fermeture définitive le 31 juillet 1985, plusieurs appellations : Base école 740 (année 1947), Base école 127 (année 1954) et Base aérienne 725 (année 1964).

Le 31 décembre 1946, Maume est promu sergent-chef. Début 1947, il est admis en tant que cadre au sein de la base école 740 (Chambéry/ Le Bourget). La même année après avoir obtenu son brevet de fusilier de l’air, il est affecté au Groupe Montagne-Air de ladite base. En septembre 1949, il est admis dans le corps des sous-officiers d’active. En juin 1951, il est nommé au grade d’adjudant d’active lors d’une formation de fusilier de l’air au Bataillon de l’air 1/111 de Lyon-Bron. En septembre 1952, il rejoint la 11e escadre de chasse à Reims. Fin 1952, notre adjudant, après un court séjour passé en Allemagne à la 11e escadre de chasse maintenant stationnée à Lahr (actuellement Lahr/Wurtemberg) dans la province du Bade-Wurtemberg, reçoit un ordre d’affectation future auprès du commandement de l’Air d’extrême Orient. Le 20 mars 1953, il embarque pour l’Extrême-Orient à Marseille à bord du Paquebot « Félix Roussel » de la Compagnie des messageries maritimes, navire dédié au transport de troupes à destination de l’Indochine.

En avril 1953, il débarque à Saïgon et rejoint le bataillon de l’air 1/191 où il est affecté à la compagnie de garde de l’air CGA n°598, de la Base Aérienne n°191[4] de Tân-Son-Nhût, proche de Saïgon. Quelques mois plus tard, il est muté à la compagnie de garde de l’air -CGA n°31/197, unité de police de sécurité de la Base Aérienne n° 192 de Bièn Hoa[5] (Cochinchine). À la suite de nouveaux problèmes de santé, après avoir été vainement soigné à l’hôpital Lanessan d’Hanoï[6] il lui sera accordé un retour anticipé en métropole par voie aérienne. Il embarque à Saïgon le 22 novembre 1954 et débarque le lendemain à Orly. En marge d’un suivi médical dispensé à l’hôpital militaire Desgenettes de Lyon, il entreprend une formation afin d’obtenir un certificat supérieur de secrétariat d’état-major, qu’il obtient février 1956. Le 3 octobre 1957, la commission de réforme de Lyon lui accorde une invalidité de 15%, nuancée toutefois par un « maintien en activité de service »

Le 13 novembre 1957, affecté à la Base école 725 de Chambéry/ Le Bourget, il y est nommé le 1er mars 1959, au grade d’adjudant-chef. Au printemps 1962, il obtient son certificat de cadre et chef du secrétariat de cette base du Bourget-du-Lac devenu Base Aérienne 725. Le 1er avril 1963, après 26 années de carrière, l’adjudant-chef Charles, Jean Maume est admis à faire valoir ses droits à la retraite proportionnelle. Il se retire provisoirement à Chambéry puis à Valréas (Vaucluse). Il décède le 22 octobre 2009 à Bourgoin-Jallieu dans l’Isère.

 

Décorations militaires obtenues :

Médaille Militaire,

Médaille commémorative guerre 1939/1945, avec barrette « Libération »,

Médaille coloniale avec agrafe « Extrême-Orient »,

Médaille commémorative-Campagne Indochine,

Croix du Combattant.

 

Médailles associatives :

Médaille de Rhin et Daube.

Croix du combattant de l’Europe.

 

Sources : Archives privées.
Remerciements pour l’aide apportée à Alain B. et Melchior G.

 

[1]S.C.T . : Ce service clandestin du gouvernement de Vichy est chargé de fournir diverses informations sur l’état d’esprit de la population et sur les opposants au régime par l’exploitation d’un contrôle postal, télégraphique et téléphonique.

[2]Le major Maurice, James Buckmater, citoyen britannique, né en1902, qui fut avant 1939, reporter en France du journal Le Matin, directeur de la Compagnie Ford-France puis directeur général de Ford European Compagny de Londres et agent de l’I.S (Intelligence service). En mars 1941, il est affecté au S.O.E (Special Operations Executive), devient, en septembre 1941, chef de la section française du SOE.

[3] Pierre Cot, né le 20 novembre 1895 à Grenoble (38), décédé le 21 août 1977 à Coise-Saint-Pied-Gauthier (73).

Homme politique français de la troisième et quatrième république. Ministre de l’Air en 1933. Développe l’aviation populaire. Nationalise les industries aéronautiques françaises.

[4]  B.A 191. En 1930, ce petit aérodrome en terre battu, près de Hô Chi Minh Ville (ex-Saïgon), avait été construit par les français qui en firent une base tactique durant la guerre d’Indochine. En 1956, elle fut agrandie par les USA. Cette base aérienne eut une activité très importante durant la guerre du Vietnam. Tân-Son-Nhût est actuellement le plus grand aéroport du Vietnam.

[5] B.A 192. Cette base fut construite en 1940 par l’armée de l’air française. Elle eut une grande activité aérienne tactique de 1946 à 1954. En 1961, elle fut reprise par les USA durant la guerre du Vietnam. Bièn Hoa se situe à 25 km de Hô Chi Minh Ville (ex-Saïgon).

[6] Hôpital de Lanessan-Hanoï a été inauguré en 1894 par de Lanessan, gouverneur général d’Indochine, ancien médecin militaire. 

 

Par Par Y. Domange (mars 2023)

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