Pour la première fois, lors de la guerre franco-prussienne de 1870, de nombreux Savoyards combattent pour leur nouvelle patrie. Ils montrent ainsi leur attachement à la France en laissant 890 morts et 3 000 blessés dans cette guerre. Plus symboliquement, ils capturent les deux seuls drapeaux pris à l'ennemi par l'armée française durant cette guerre. Voici le récit de l'une de ces captures.
Les 21, 22 et 23 janvier 1871, 5 000 Prussiens attaquent Dijon dans le froid et la neige afin de forcer le passage en Bourgogne et envahir le Sud de la France. Giuseppe Garibaldi, le célèbre unificateur des Italiens est maintenant général. Son fils Ricciotti Garibaldi commande la 4e brigade de l’armée des Vosges, chargée de défendre la ville. Contre toute attente, les Prussiens sont bloqués devant Dijon. Parmi les francs-tireurs se trouve le jeune Haut-Savoyard Victor Curtat, 18 ans, qui se couvre de gloire le 23 janvier, sous la mitraille, en enlevant au 61e régiment poméranien le second drapeau pris à l’ennemi durant cette guerre. Il devrait, logiquement, se retrouver couvert de récompenses et jouir d’une gloire méritée, mais c’est même le contraire qui se produit : dépossédé de son fait d’arme par des camarades Isérois jaloux et ses supérieurs, il tombe immédiatement dans le plus profond oubli. Discret, il ne parlera d'ailleurs jamais de cette affaire. Puis, en 1896, le journal Le Léman Républicain s’émeut : « Curtat, père de sept enfants vivants et n’a pour les nourrir que son traitement de 500 F. par an comme employé à la voirie d’Annecy, auquel s’ajoute une pension militaire de 200F.., c’est tout ! ». Il obtient un bureau de tabac en 1897 pour vivre, puis la Médaille militaire en 1904, année de sa mort.
La ferveur populaire se réveille alors. Le Comité des survivants de l’Armée des Vosges lance une souscription : la famille de Curtat obtient une concession à perpétuité au cimetière d’Annecy et un monument pour les Savoyards morts au cours de la guerre est édifié sur le rond-point situé entre l'avenue du Parmelan et la rue Louis Revon. Ce monument est symboliquement inauguré le 14 mars 1910, l’année du cinquantenaire du rattachement de la Savoie à la France. Ses inscriptions clament en particulier : « Aux Savoyards qui de leur sang ont scellé l’annexion en combattant pour la France en 1870-71 », « A Victor Curtat qui s’empara du drapeau du 61e Poméranien ». Ce fait d'armes glorieux minimisait symboliquement la défaite de 1870-71 contre la Prusse et rendait possible la Revanche. Après la Seconde Guerre mondiale, à la faveur de remaniements urbains, le monument de 1914-1918 prit sa place. Curtat fut relégué sur un square de l’avenue de Genève où il se trouve toujours. Seuls trois autres monuments ont été édifiés en Haute-Savoie à la gloire des combattants de 1870 ; ils se situent à Taninges, Thonon-les-Bains et Bonneville.
Par Sébastien Chatillon Calonne