Histoire & Mémoire Militaire Alpine

Recherches sur le fait militaire en Savoie (1870 - 1962)

Le drame méconnu des déplacés en Haute-Savoie en 14-18

Un convoi de réfugiés arrivé à Évian
Un convoi de réfugiés arrivé à Évian

La gestion des déplacés français en 14-18

Alors que les déplacements de populations civiles durant la Grande Guerre ont connu une ampleur sans précédent, on estime à plus 3 millions le nombre de déplacés rien qu’en France. Du fait de sa position frontalière, la Haute-Savoie accueille à elle seule pas moins de 500 000 déplacés français ou alliés (notamment Belges et Serbes) : il y eu d’abord ceux qui refluaient devant l’avance ennemie en 1914, puis les internés civils retenus comme otages en territoire ennemi à la déclaration de guerre, ainsi que les rapatriés des dix départements occupés entre 1914 et 1918. En effet, en vertu d’un accord humanitaire franco-allemand, internés et rapatriés sont renvoyés via la Suisse. Ils sont gérés dès leur arrivée en Haute-Savoie par le Service des rapatriés, avec l’aide précieuse de l’armée territoriale suisse et de diverses sociétés caritatives. Ces « bouches inutiles à nourrir » souvent plongées dans le plus grand dénuement, parfois malades, souffrent de traumatismes nés de la rupture avec leur environnement. Leur aspect misérable et leurs récits d’atrocités constituent également un choc pour les Haut-savoyards, qui saisissent alors la réalité de la guerre. Ces déplacés sont en théorie répartis dans les communes françaises, en tenant compte des besoins en main-d’œuvre et des capacités financières de chacune. Pour les rapatriés restés sans-emploi, l’allocation journalière mise en place dès fin 1914 pour les familles nécessiteuses permet de survivre.

Annemasse, puis Évian-les-Bains, portes d’entrée des rapatriés durant la Grande Guerre

Évian, ville d’eau à la mode située sur la rive savoyarde du Léman, débutait sa saison mondaine lorsque la guerre éclate le 3 août 1914. Une fois ses capacités d’accueil recensées par les autorités, un premier train de Français évacués du front arrive dès le 6 septembre 1914 dans le Chablais, déposant une centaine de personnes à Évian. Les œuvres caritatives, tel le Comité du secours évianais, éclosent rapidement afin de les assister matériellement et moralement. À la fin de l’année 1914, Évian devient une station d’attente : les vagues de rapatriés qui commencent à arriver à Annemasse par Genève bénéficient ici de 24 heures de repos. Puis, à partir de janvier 1917, l’augmentation des flux de rapatriés saturent les structures d’accueil d’Annemasse. Évian, mieux dotée en hôtels et hôpitaux, devient alors la plaque tournante des populations déplacées. Elle doit faire face à des arrivées de trains biquotidiennes comptabilisant jusqu’à 1300 rapatriés par jour, qui arrivent désormais par Saint-Gingolph. Les cérémonies d’accueil avec musique et drapeaux marquent avec émotion les premières minutes du retour en France, avant le banquet et les allocutions de bienvenue des autorités. Déménagé d’Annemasse et dorénavant installé dans le vaste casino flambant neuf d’Évian, le Service des rapatriés du ministère de l’Intérieur voit ses moyens décuplés pour gérer la réception, le recensement, l’hébergement provisoire et la santé des rapatriés. Logements en hôtels, pouponnières, bains-douches, vestiaires, installations médicales, entrepôts de marchandises : rien ne manque pour l’accueil ces femmes, enfants et vieillards considérés comme des « bouches inutiles » par l’ennemi. Le Service d’identification possède à lui seul 100 jeunes filles salariées. Quelques heures suffisent pour accomplir les formalités administratives. Puis, après une journée de repos, la plupart des rapatriés sont ensuite redirigés vers d’autres départements pour être placés d’office dans des communes d'accueil. 1200 personnes font toutefois souche dans le Chablais. Cette logistique administrative impressionnante contribue même au dynamisme économique de toute la ville, compensant le ralentissement de l’activité thermale. Du fait de la reconquête victorieuse du territoire, les convois de rapatriés se tarissent en octobre 1918. Depuis 1921, un imposant monument rappelle qu’ils furent un demi-million à avoir retrouvé la France libre en arrivant en Haute-Savoie. 500 d’entre eux ont même succombé à leur arrivée et reposent à Évian.

Source principale : Françoise Breuillaud-Sottas, Evian et le drame de la Grande Guerre, 2014.

 

 

Par Sébastien Chatillon Calonne, été 2017, chez Dauphiné Libéré

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