Histoire & Mémoire Militaire Alpine

Recherches sur le fait militaire en Savoie (1870 - 1962)

Le pilote italien Manzocchi, un parcours militaire avec turbulences (1939-1940)

Le pilote Diego Manzocchi, affecté à Tripoli (Lybie), posant avec un faon qu’il a apprivoisé (Cliché Ulderico Munzi)
Le pilote Diego Manzocchi, affecté à Tripoli (Lybie), posant avec un faon qu’il a apprivoisé (Cliché Ulderico Munzi)

Après avoir déserté en 1939, un pilote militaire italien pose en France son aéronef dans un pré des Hautes-Alpes puis trouve la mort en combat aérien en Finlande en 1940. Dans les années 2002/2003, l’auteur a entrepris des recherches sur le passage en France de ce déserteur italien. Ces informations recueillies ont été données au journaliste italien Ulderico Munzi, auteur de romans historiques, lequel a publié roman intitulé Gli Aquiloni non volano più - Storia del pilota che rubò un aereo al Duce en 2007 aux éditions Sperling et Kupfer S.p.A de Milan.

 

Des débuts difficiles sous le fascisme mussolinien

Diego Manzocchi nait le 26 décembre 1912 à Morbegno (Lombardie) dans un petit village italien situé non loin du lac de Como. En 1916, il perd sa mère et en 1925 son père. Une enfance malheureuse développe chez lui un caractère taciturne, indépendant et sceptique vis-à-vis de l’espèce humaine. Les études l’ennuient. En cette fin des années vingt, le travail offert à la jeunesse de l’Italie fasciste est rare.

Ce passionné d’aéronautique, sans emploi, s’engage le 7 janvier 1929 dans la toute nouvelle aviation mussolinienne : la Regia Aeronautica (Aviation royale italienne). En mars 1931, à sa sortie des classes militaires, le soldat-aviateur Manzocchi intègre l'école privée de pilotage S.A.I. (Società Aeronautica Italiana) et suit une formation sur hydravion afin d’obtenir son premier degré d’aéronautique. L’hydrobase de cette société est installée près du lac Passignano sul Trasimenonon, non loin de Perugia.

Courant 1932, la Regia Aeronautica résilie tous les contrats de formation de pilote passés avec les écoles privées du pays. La base de Passignano sul Trasimenonon est fermée, son personnel licencié et ses élèves rendus à la vie civile. Le 25 septembre 1932, le sergent pilote de réserve Manzocchi, est à la « rue ». Il va, alors, partager la misère et le chômage d'une grande partie de la population italienne. Il apprend, très vite, à ses dépens que sans la carte du Parti fasciste, il n’existe pas de salut et surtout pas de travail ! En mars 1934, son « militantisme économique » le pousse à s'inscrire en mars 1934 au P.N.F. (Parti National Fasciste, créé à l’automne 1921) espérant que ce sésame lui ouvrira les portes d’un emploi.

 

Au service de l’aviation italienne

Au cours de l’année 1935, des bruits de « bottes italiennes » se font entendre aux frontières de l'Abyssinie, en Éthiopie, l’un des rares territoires africain pas encore colonisé par l’Europe. Le 16 juillet 1935, la Regia Aeronautica rappelle donc Manzocchi dans le service actif. Il est affecté en tant que pilote au 19e Stormo Osservazione Aerea (O.A.). Le 3 octobre 1935, l’Italie déclare la guerre à l’Éthiopie. Courant 1937, Manzocchi est affecté au 1° Gruppo Aviazione di Presidio Coloniale, Groupe de l'Aviation Coloniale de Libye, basé à Tripoli. Le 5 avril 1937, lors d’une reconnaissance aérienne au-dessus des pistes du désert du Fezzan (sud-ouest de la Libye), il est contraint, à la suite d’une panne moteur, d’effectuer un atterrissage d’urgence. Il ne sera récupéré que six jours après son crash. À son retour à l’unité, dans un rapport circonstancié, il met en cause la mauvaise qualité du carburant utilisé et la vétusté de son appareil.

Suite à cet accident, il rejoint la métropole et est admis au sein du corps des sous-officiers de carrière de l’aviation italienne. En février 1939, il est nommé sergent-major et détaché à l’école de la chasse de Novara-Cameri, Aéroport n°10 - Terrain de Gabardini (ouest de Milan) en tant que moniteur pilote. Manzocchi arrive à Novara-Cameri avec un certain passif, même s’il est reconnu pour être un excellent pilote ; en effet, un rapport mentionne qu’il est également solitaire, sceptique, coureur de jupons, introverti, critique envers le régime et le corps des officiers :

« Le sergent major Manzochi Diego, en tant qu’instructeur en vol, [se] montre un individu compétent, enthousiaste et efficace. D’un caractère froid, fermé et indifférent, il [est] peu sociable… ses attitudes ont été, à plusieurs reprises, punies. Ce sous-officier [n’attache] aucun soin à son matériel militaire… ses derniers temps… a pris parti en minimisant les graves problèmes de discipline que certains de ses collègues avaient rencontrés[1] ».

 

Le déserteur réfugié en France

Le vendredi 29 septembre 1939, Diego Manzocchi, sergent-major, instructeur pilote, décide de déserter. À 14 h 15, il décolle, officiellement, pour un vol technique de quinze minutes aux commandes de son biplan Fiat Cr 20 Bis MM 1970, équipé en simple commande. Suite au non-retour de l’appareil à la base, les autorités italiennes déclenchent des recherches locales entre 15 h 00 et 16 h 00. Ce même jour, à 15 h 25, il est vu par des unités de DCA italiennes ; non loin de la frontière française, à une très haute altitude à la verticale de Sestrières. Vers 16 h 30, Roger Cézanne, un adolescent français de la commune Châteauroux-les-Alpes (Hautes-Alpes), voit se poser dans un champ cet avion militaire italien. Le 30 septembre 1939, le déserteur Manzocchi est entendu à la brigade de gendarmerie d’Embrun puis transféré dans une caserne à Avignon. Durant une petite semaine, les militaires d’Embrun ont la garde du Fiat Cr 20 Bis avant qu’il ne soit démonté et emporté à Marseille par du personnel de l’Armée de l’air puis rendu, le 6 novembre 1939, à ses légitimes propriétaires. En effet, la France n’est pas encore en guerre avec l’Italie. Jusqu’au 7 octobre 1939, le pilote, dans une quasi-liberté, attend dans la cité des papes d’être interrogé par un officier du S.R.A (Service de Renseignement Air). C’est l’époque de la « Drôle de guerre ». Lors de ses auditions, il reconnait avoir déserté pour les beaux yeux d’une Parisienne qu’il a connue l’été dernier sur la côte adriatique. Ce déserteur, ne présentant aucun danger pour la sécurité du pays, est placé dans un hôtel de Bollène (Vaucluse). Ne pouvant retourner dans son pays d’origine, il décide de combattre aux côtés des Finlandais ; il attend des autorités françaises un sauf-conduit pour franchir nos frontières. La Finlande est entrée en guerre contre l’envahisseur soviétique depuis le 30 novembre 1939. Ce conflit nommé « Guerre d’hiver » prendra fin le 13 mars 1940.

 

Rappel technique : l'avion Fiat Cr 20 Bis

Il s’agit d’un biplan, biplace en tandem, double commandes, destiné à l’entrainement pour les écoles de la chasse italiennes. Produit entre 1927 et 1929 par FIAT. SA et sa filiale CMASA, il était un dérivé du chasseur biplan, monoplace Cr 20 mis au point en 1926 et destiné à l’aviation de combat italienne (Éthiopie).

Le Fiat Cr 20 bis avec son moteur Fiat A 20 de 400 CV, 12 cylindres en V, possédait une autonomie de 500 km à 750 km pour un vol en palier entre 4 000 et 5 000 m d’altitude à 200 km/h.

 

Au service de l’aviation finlandaise

Manzocchi arrive à Paris, le 25 janvier 1940, où il fait la connaissance de deux pilotes volontaires canadiens en partance pour le front finlandais. Son passage à l’ambassade de Suède, lui permet d’obtenir l’autorisation de transiter dans ce pays afin de se rendre à la frontière fino-suédoise. En ce début d’année 1940, la politique de « non belligérance » de la Suède lui impose une grande discrétion dans l’appui militaire qu’elle fournit à sa voisine. Il semblerait que notre déserteur italien ait signé un engagement dans un centre de recrutement finlandais de Stockholm (Suède) et y ait reçu un ordre de mission pour se rendre par train à Haparanda. Il se présente le 7 février 1940 au poste frontière de Tornio où il est dirigé vers le Centre d’Entraînement de Lapua, dans la Division du Courage (Osasto Sisu) ou des Volontaires étrangers. Après un parcours ferroviaire de 450 km, il arrive le 8 février 1940 à Lapua. Jusqu’au 21 février 1940, l’italien y subit une série de tests puis effectue des vols d’entrainement sur un biplan Fokker CX de la force aérienne finlandaise[2]. La chasse finlandaise, tout en étant équipée d’avions peu performants, possède la réputation de posséder d’excellents pilotes, résistants au froid, très bons tireurs et très combatifs.

Le 22 février 1940, l’italien est affecté au Groupe de Chasse 26 (3 Escadrilles) - Leutolaivue 26 ou LeLv 26. Cette unité est implantée près d’Utti, non loin du front, au sud-est du pays, sur le lac gelé de Haukkajärvi à une vingtaine de kilomètres à l’est de la ville de Kouvola[3]. Depuis janvier 1940, l’unité est équipée du chasseur italien Fiat G50[4] et obtient sa première victoire le 13 janvier 1940 sur un bombardier bimoteur Tupolev SB 2[5]. Les premiers jours de mars 1940, Diego effectue des vols en patrouille simple (soit deux appareils) au-dessus des lignes ennemies. Le 5 mars, entre Viipara et Sortavala aux commandes du FA 10 (nom finlandais du Fiat G 50), il rencontre une trentaine de Tupolev SB, escortés par trois chasseurs Polikarpov I 16 soviétiques[6]. À la suite d’un combat tournoyant, il abat un I 16 et rentre à la base, à court de carburant. Le 9 mars aux commandes du FA 22, après un mitraillage au sol, il détruit un char soviétique parmi une colonne blindée qui se dirige vers la baie de Viipuri.

Le 11 mars 1940 au matin, par une température de - 40° C, il participe à une patrouille double de reconnaissance. Avant de retourner à sa base, les deux appareils finlandais repèrent une formation Tupolev SB, sans escorte, volant à 5 000 m. d’altitude. Ils abattent l’un de ces bombardiers. Vers midi, sous un ciel bleu, cette même patrouille décolle une nouvelle fois pour effectuer une mission d’interception, en direction du sud-est de la Finlande. Ce secteur est survolé par un nombre important de bombardiers bimoteurs soviétiques (environ 92 appareils) sans escortes. L’Italien est aux commandes de son FA 22 MM 4946. Les deux pilotes surprennent vers 6 000 m. d’altitude une formation décalée de sept SB 2 (trois appareils en avant et quatre en arrière). Immédiatement, le combat s’engage. Le chef de patrouille et son ailier s’en prennent au dernier SB 2 en train de quitter sa formation. À moins de 100 mètres de distance, les deux chasseurs touchent le bombardier soviétique mais Manzocchi, trop prêt de l’avion ennemi, est atteint à la poitrine par une rafale de projectiles russes. Vers 13 h 00, le FA 22 est vu, par des témoins oculaires, perdre de l’altitude en se dirigeant vers Kouvola.

En fin d’après-midi, l’appareil, quasiment intact et recouvert de neige ainsi que son pilote, sont retrouvés sur le lac gelé d’Ikola non loin du village de Iitti (Vallée de la Kyni). Il semblerait que Manzocchi ait tenté de poser son avion, car les trains sont sortis, mais l’épaisseur de neige fraiche aurait fait capoter l’avion. Le pilote blessé mais vivant au moment du crash serait mort étouffé par la neige qui aurait envahi son cockpit ouvert. Les jours suivants, les militaires finlandais récupèrent la dépouille de l’Italien et l’épave du chasseur FA 22 ; chasseur qui revolera, quelque temps après, dans la même unité et ce, jusqu’au 28 août 1945. Le 12 mars 1940, lors d’un hommage rendu à la mémoire de Manzocchi Diego, tué en combat aérien, le commandant du Groupe de Chasse 26 précise :

« Retenez que le pilote Manzocchi a bien fait un atterrissage d’urgence, suite à un manque de carburant mais n’ayant pas une bonne connaissance des conditions hivernales locales, il n’a su voir que dessous le manteau neigeux se dissimulaient des blocs de glace. Par un atterrissage sur le ventre, notre ami aurait pu sauver sa vie. Il a choisi de sauver l’avion, qui selon lui, devait compter plus que sa vie… »

Le 13 mars 1940, le maréchal Mannerheim, chef des armées, lui confère à titre posthume la croix de guerre avec glaive. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la dépouille de l’aviateur déserteur italien sera déposée à Helsinki au cimetière de Hietaniemi dans le secteur des tombes des héros morts pendant la guerre. En 1990, année du cinquième anniversaire de sa mort, les autorités finlandaises et des anciens du Groupe de chasse 26 ont déposé une gerbe sur sa tombe. Manzocchi Diego, mort le 13 mars 1940, soit à peine deux jours avant la fin de la Guerre d’Hiver finlandaise, est considéré pendant de longues années déserteur en Italie, mais possède le statut plus envieux de héros national en Finlande.


[1] Extrait du rapport du Directeur des cours – Capitaine pilote Giovanni Nicolo. Traduction de l’auteur.

[2] Force aérienne indépendante depuis mars 1918.

[3] La ville de Kouvola sera complètement détruite par les soviétiques.

[4] Le Fiat G 50, commandé à l’Italie en octobre 1939, est chasseur monoplan, entièrement métallique, train escamotable à habitacle semi-ouvert, mis au point entre 1935/1939.

[5] Le Tupolev ANT 40 ou SB 2 est un bombardier soviétique, monoplan, bimoteur, triplace, mis au point en 1934.

[6] Le Polikarpov I 16 est un chasseur monoplan soviétique à habitacle ouvert, mis au point 1933/1935. Son surnom finlandais est Siipiorava soit Écureuil volant.

Par Par Yves Domange, avril 2022

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