Histoire & Mémoire Militaire Alpine

Recherches sur le fait militaire en Savoie (1870 - 1962)

Les Croisile, une famille française sous l'uniforme allemand (1943-45)

Jean-Marie Croisile, le fils aîné
Jean-Marie Croisile, le fils aîné

Jean-Marie Croisile, son frère Alain et son père Jean (Léon) ont tout trois combattu sous uniforme allemand.  L’étonnant cheminement d’un père et de ses deux fils, menant à un engagement commun contre les Soviétiques, au sein de la Waffen-SS a fait l’objet d'un récit de Jean-Marie relatant son expérience durant la Seconde Guerre mondialeC’est ce dernier qui deviendra Savoyard d’adoption bien après l'épuration. Dans un souci de clarté, nous présenterons la vie de ces trois combattants successivement, en adoptant l’ordre chronologique de leur année de naissance.

 

Jean Croisile, un père de famille héros des deux guerres mondiales

Membre de la première génération, Jean Croisile est né à Hénin-Liétard (Nord) en 1894. Au civil, il a été directeur de scierie puis d’une société de vente de charbon. Son fils précise que le lieu de naissance de son père, à une trentaine de kilomètres de Lille, avait contribué à le faire participer « à ce courant général considérant les Prussiens, les Pruscoffs, les Boches et les Bavarois - tous faisant partie de l’Empire allemand – comme l’ennemi ». Résumant la jeunesse de son père, Jean-Marie note ainsi qu’« elle a été imprégnée de sentiments bellicistes vis-à-vis de l’Allemagne ». Ceci suffit-il à expliquer l’attitude et le parcours qui seront les siens, quelques années plus tard, pendant la Première Guerre mondiale ?

      En effet, en août 1914, trop jeune pour être mobilisable, Jean Croisile devance sa classe d’âge. Engagé volontaire de 1 ère classe, il est incorporé au 33e RI d’Arras, celui de Pétain et de de Gaulle. Il est fait successivement caporal en janvier 1915, sergent en avril, élève-aspirant en 1916, aspirant en 1917. Pendant cette période, il se bat à Verdun, « où l’apocalypse est permanente ». Son comportement au combat lui vaut une première citation en mars 1915, une seconde en mai suivant. On le retrouve, début 1918, décoré de la médaille militaire, mais aussi atteint d’une cinquième blessure survenue en première ligne (dont trois dans le secteur de Verdun) qui va l’éloigner du front jusqu’en mai de cette année.

Il passe alors devant une commission de réforme qui le classe en service auxiliaire (par opposition à service actif). Il fait appel de cette décision et obtient sa réintégration dans l’Armée, le 4 novembre 1918, une semaine avant l’armistice. ll est ensuite affecté, fin mars 1919, au 27e bataillon de dragons de Versailles, avec pour perspective de servir dans l’Armée d’Orient.  Il rejoint ainsi les forces françaises qui stationnent en Crimée, appuyant une des trois armées blanches russes qui affrontent les bolcheviques depuis la Révolution de 1917. Il rentre en France, début octobre 1919, conséquence du retrait de Crimée des forces alliées, mettant ainsi un terme à la carrière militaire qu’il envisageait d’accomplir. Il met toutefois à profit son retour à la vie civile pour effectuer plusieurs périodes de réserve qui le voient être promu capitaine de réserve.

Au moment de la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, Jean Croisile alors âgé de 45 ans, possède le statut de vétéran invalide en charge de famille (trois enfants). Faisant tout son possible pour pouvoir repartir au front, il est versé en avril 1940 dans un groupe de reconnaissance de division d’infanterie et le 15 mai 1940 il est nommé à la tête d’un escadron de fusiliers motocyclistes, en remplacement d’un lieutenant tué la veille. Peu de temps après (26 mai 1940), il est arrêté par les Allemands et prend la route de l’Allemagne comme 3 500 autres soldats français ou britanniques faits prisonniers à Calais. Il se retrouve interné à l’OFLAG IV-D, à 50 km au N-E de Dresde, sa famille étant sans nouvelles de lui ; c’est aussi le moment où son fils Jean-Marie s’engage dans l’armée française. Libéré de son OFLAG en août 1941, Jean est démobilisé de l’armée française en février 1942. En octobre 1943, il refuse de donner son consentement à son fils cadet de 17 ans, Alain, désireux de s’engager dans la LVF. À défaut, ce dernier parvient alors à s’engager dans la Waffen-SS. Pour être le plus proche possible de lui, son père fait de même. Il appartient ainsi à la promotion d’officiers SS français de Bad Tölz, en mars 1944, dont il sort Obersturmführer. En tant que chef de compagnie d’état-major, Jean Croisile participe à la campagne de Galicie. Il est promu au grade supérieur lors de la constitution de la brigade « Charlemagne ». Il participe à la campagne de Poméranie où il est blessé à la jambe par éclat d’obus. Fait prisonnier par les Russes, il est laissé par eux libre de repartir en France par ses propres moyens. Alors qu’il transitait par le centre des rapatriés de Lille, il est arrêté par la sécurité militaire et interné à Loos. Trois mois de détention préventive l’attendent avant de comparaître devant un tribunal militaire à Colmar, en octobre 1945. Ces états de service sont ceux sans conteste un combattant de la guerre de 1914-1918, puis d’un vétéran de la campagne de 1940 qui s’est battu vaillamment. Les faits d’armes de l’intéressé pendant les deux conflits mondiaux, tels que nous venons de les relater, permettent de penser que l’appréciation élogieuse le concernant n’est pas usurpée. Mais retrouver, quelques années plus tard, ce même soldat, enrôlé dans l’armée allemande, arguant de son rôle de père et assumant son choix, et amené in fine à devoir rendre des comptes à la justice française, confère à ce parcours sinon un aspect incompréhensible, du moins « atypique », pour reprendre l’épithète utilisée par l’auteur du récit, son fils Jean-Marie.

 

Jean-Marie Croisile, le fils ainé

Agé de 18 ans en 1940, au moment de la défaite française, Jean-Marie Croisile, fils du précédent, fuit alors l’avancée allemande et parvient à Clermont-Ferrand le 13 juillet 1940. Un mois plus tard, il rejoint la localité voisine de Randan où vient d’ouvrir un camp-école d’une organisation toute fraîche, « les Compagnons de France », d’obédience vichyste. En janvier 1941, après s’être engagé dans l’armée française d’armistice, il est incorporé, à sa demande, au 6e BCA de Grenoble. Au sein de cette unité, un appel est lancé pour aller combattre contre les Anglais en Syrie : Jean-Marie fait partie des 70 volontaires candidats à ce poste, lui qui ne cache pas une certaine anglophobie, considérant « que l’Angleterre nous avait trahis en 1940 ».

 Il participe de ce fait à un camp d’entraînement, avant d’apprendre que l’embarquement fixé au 5 juillet est annulé. Quelques jours après, naît une association de droit privé baptisée « Légion des volontaires français contre le bolchevisme » qui rassemble plusieurs partis collaborationnistes et qui ne peut laisser Jean-Marie indifférent : ne proclame-t-il pas qu’ « il abhorre le communisme » et  estime que « l’Angleterre et les Etats-Unis ont trahi notre monde, notre civilisation, en s’alliant au bolchevisme » ? En août 1942, il rate l’examen final de son peloton, conscient qu’il a échoué à cause de « sa très mauvaise cote d’amour ». Dès ce moment-là, il murit le projet de s’engager dans la Légion, ce qu’il fait avec l’accord de son père le 23 février 1943, en intégrant une caserne à Versailles. Son départ pour le front de l’Est a lieu le 12 mars. Son séjour commence par un stage d’entraînement de trois mois en Pologne ; il obtient ensuite une affectation près de Smolensk. Le 1er octobre 1943, il est nommé caporal. Après trois semaines de permission en France, en décembre 1943 et janvier 1944, il est affecté en Prusse orientale. A ce poste, il est nommé sergent le 20 mars. Il reçoit du gouvernement de Vichy la Croix de Guerre LVF  avec deux étoiles de bronze le même mois, car il a reçu deux citations pour ses faits d’armes au régiment d’infanterie 638 de la LVF :

« Caporal de la 9e compagnie, montrant toutes les qualités d’un soldat. Commandant d’une mitrailleuse lourde lors des opérations de février 1944, il dirige son canon avec autorité, donnant l’exemple de la persévérance pour continuer à servir malgré une grave maladie. Cette citation comprend l’attribution de la Croix de Guerre avec étoile de bronze. »

« Chef de groupe pendant les combats à Rakow. Le 3 juillet 1944, sa colonne a été attaquée de flanc par un ennemi puissant et fortement soutenu, luttant avec audace pour tenir une crête avec le plus grand sang-froid, son peloton ne s’est retiré que sur ordre. »

 Son récit est ensuite une longue évocation de l’offensive soviétique mettant en difficulté les troupes allemandes qui battent en retraite, en juin 1944, face à « la marée rouge ». Une retraite, dit-il lucide, qui ressemble de plus en plus à une déroute. On le retrouve le 15 août 1944 en Prusse occidentale. À la fin du mois, il apprend que la LVF est dissoute, ses membres étant incorporés, pour ceux qui l’acceptent, dans ce qui s’appelle désormais la Brigade der Waffen-SS Charlemagne. Jean-Marie est de ceux pour qui cette option va de soi. Le 4 septembre, il rencontre, sur ce sol étranger, son père de retour du front et seul officier rescapé de sa brigade dite Frankreich (« France »). Le 19 novembre 1944, il est décoré de la croix du service allemand de 2e classe. Fin novembre 1944, il est envoyé dans la région de Prague pour suivre un cours d’officier qu’il quitte à la mi-avril 1945, peu de temps avant d’être appelé à Berlin pour participer à la défense de la ville. Le récit relate longuement les combats qui s’y déroulent alors et auxquels participe le Français, ponctués de la capitulation allemande le 8 mai 1945. Blessé par un éclat d’obus, il est fait prisonnier par les Russes avant d’être hospitalisé pendant deux mois dans un hôpital allemand. Il est libéré le 2 juillet, renvoyé en Alsace, à Colmar. Arrivé au centre de rapatriement de Strasbourg le 27 juillet, il subit un interrogatoire qui aboutit à son inculpation le 4 août 1945 par la Cour de justice du Haut Rhin. Il est placé sous mandat de dépôt en attendant son procès.

 

Alain Croisile, le cadet

Le troisième membre de la famille Croisile se prénommait Alain. Né en 1926, il était le fils cadet de Jean, donc le frère de Jean-Marie, et avait 17 ans quand, en 1943, après le refus de son père de le laisser s’engager dans la LVF, il met à profit le fait que le consentement paternel n’était pas nécessaire pour s’engager dans la Waffen SS pour le faire. On peut noter que le père n’a pas eu le même comportement vis-à-vis de ses deux fils quant à leur candidature à la LVF. Il précise, en effet, au sujet de Jean-Marie qu’il « ne l’avait pas poussé à s’engager, mais n’avait rien fait non plus pour le retenir ». Il concède que « son inertie lui valait une large part de responsabilité, qu’il était prêt à assumer ». Quant à l’engagement d’Alain dans l’armée allemande, il sollicitera l’indulgence du tribunal militaire de Colmar au regard de son jeune âge. On peut noter que la sollicitude paternelle avait permis à Jean d’obtenir la nomination de son fils au sein d’une unité qu’il commandait. Blessé et porté disparu le 22 août 1944, en Galicie (Pologne), deux mois seulement après son dix-huitième anniversaire, ce fils Alain n’était pas pour les pouvoirs publics français officiellement mort quand le procès des trois membres de la famille Croisile s’ouvre à Colmar le 26 novembre 1945.

 

 Les Croisile face à l’épuration

 Tous trois sont considérés comme « coupables de trahison et d’intelligence avec l’ennemi ». Pendant l’instruction, puis pendant le procès, les deux inculpés seront amenés à préciser les conditions et le sens de leur engagement dans l’armée allemande ; Jean-Marie soutiendra constamment la même thèse selon laquelle « c’est la haine du communisme qui (l’a) poussé à (s’) engager ». Il la maintiendra sous cette autre forme : « Je ne me considère pas comme un criminel car j’ai agi par idéologie, croyant servir mon pays et j’ai payé de ma personne ». Le père et le fils contesteront fermement un des motifs d’inculpation les accusant « d’avoir porté les armes contre la France », soucieux de se démarquer en cela des miliciens. Les quatre membres du jury leur donneront satisfaction sur ce point mais les condamneront « pour faits de collaboration commis en France et à l’étranger entre le 16 juin 1940 et la Libération ».

A l’issue du procès, Jean est condamné à 5 ans d’emprisonnement et à une peine d’indignité nationale à vie. Il bénéficiera en 1948 d’une remise de peine d’un an, ce qui lui permettra de sortir de prison en août 1949. Voté en 1953, une nouvelle loi d’amnistie lui permet à cette date d’être rétabli dans ses droits de citoyen. Alain ne s’étant pas présenté à l’audience est condamné à la peine de mort et à la dégradation nationale. Quant à Jean-Marie, il est condamné à deux ans d’emprisonnement et à 10 ans d’indignité nationale. Une loi votée en janvier 1951 lui vaut amnistie de plein droit. Une fois libéré, il s’installe au Maroc puis à Bamako, au Mali. Puis il revient en métropole dans les années 1960 : il achète une maison de vacances en Haute-Savoie en 1967 et revient définitivement en France en juin 1975. Il décède le 5 avril 2011 à Marcellaz-Albanais (Haute-Savoie). Ses mémoires sont publiées en 2018.

Ainsi s’achève « l’histoire d’une famille ballottée par l’histoire… une histoire commencée en 1914 pour s’achever trente et un ans après dans les ruines de Berlin », comme l'annonce l'ouvrage paru après le décès du dernier des trois Croisile. Cette saga nous rappelle que, d’un conflit à un autre, l’Histoire - avec la majuscule - a revêtu souvent un aspect tragique.

Sources :
Jean-Marie Croisile, Sous uniforme allemand. Un récit inédit, Editions Nimrod, 2018. 
Site : https://www.tracesofwar.com 

 

Par André Pallatier, 2024

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