Paysans très modestes, les Lavanchy étaient installés dans le petit village savoyard de Champanges. Cette commune située dans le Pays de Gavot[1], non loin d’Évian les Bains et de Thonon les Bains appartenant au Chablais français, était connue au XIXe siècle pour être une terre de migration économique en particulier vers l’Argentine.
Dès son jeune âge, Lucien, Adrien Lavanchy né le 26 août 1913 à Champanges, pupille de la nation[2], travaille sur le modeste lopin de terre familiale, tandis que son père Eugène Lavanchy est employé aux célèbres papeteries Zig Zag de Vongy afin de faire vivre la famille. De la classe 1933, il est appelé à effectuer son service militaire. Il est affecté à Modane à une compagnie muletière du 99e régiment d’infanterie alpine. À la fin de ses obligations militaires, il demande à suivre une formation à l’école de gendarmerie installée au camp de Valbonne non loin de Lyon. Le 1er juillet 1939, le nouvel maréchal des logis est affecté à la brigade de gendarmerie de Saint-Jean d’Aulph, village du haut Chablais arrosé par la Dranse de Morzine. À la veille de la déclaration de guerre, cette gendarmerie montagnarde est tout particulièrement chargée de la surveillance des passages sur la frontière franco-suisse. Du 3 septembre 1939 (déclaration de guerre) au 22 juin 1940 (armistice) la gendarmerie départementale assure ses missions traditionnelles de maintien de l’ordre et de sécurité du territoire.
L’été 1940 voit la naissance d’un nouveau régime en France avec le gouvernement dit de Vichy. Les Allemands chargent son représentant, le maréchal Pétain, de la gestion d’une zone non occupée qu’ils lui ont concédée. La commission allemande d’armistice de Wiesbaden maintient dans notre département 200 gendarmes, lesquels ont prêté serment de fidélité au nouveau chef du gouvernement. Au mois d’octobre 1940 puis au mois de juin 1941, Vichy promulgue des lois à l’encontre des « étrangers de race juive » nombreux et qui ont trouvés refuge dans notre département dans l’attente d’une éventuelle occasion de fuir en Suisse. En plus d’assurer leurs missions classiques, il est demandé aux gendarmes de collaborer professionnellement avec l’occupant et d’assister les forces de sécurité de Vichy dans leur chasse contre les membres des menées antinationales (communistes, gaullistes, services de renseignement alliés, opposants de tous poils au régime) et contre les juifs étrangers puis nationaux. Dès avril 1941, les gendarmeries de la Haute-Savoie sont de plus en plus impliquées dans la répression raciale. La brigade de gendarmerie de Saint-Jean d’Aulph reçoit des ordres afin que les ressortissants « suspects » du plateau soient présentés à la gendarmerie de Thonon-les Bains pour « affaire les concernant ». Durant l’été 1942, des militaires de la gendarmerie participent aux rafles des juifs de Savigny et sur l’ensemble du département. Lucien Lavanchy se montre très peu zélé pour ce genre de missions. Seul de nuit, en vélo, ce montagnard sportif, enfant du pays, va frapper aux portes des convoqués afin qu’ils puissent être absents le lendemain lorsqu’on viendra les arrêter. Durant cette période, dans le Haut-Chablais, il s’active aussi dans la distribution clandestine de tracts et de journaux interdits.
Au début de l’année 1943, il est contacté par des membres de la résistance locale : Lieutenant FFI Rigobert, Intendant FFI Soubercazn et le commandant FFI Morel alias Valentin, chef du sous-réseau Vallée de Saint-Jean d’Aulph, rattaché à l’AS de Thonon-les-Bains. Dès le 5 mars 1943, il lui est demandé de prendre, tout en restant dans sa brigade de gendarmerie, un poste au sein des FFI locaux (Vallée de Saint-Jean d’Aulph), afin de fournir des informations sur les mouvements à la frontière Suisse et de venir en aide aux jeunes refusant de partir en Allemagne au titre du STO-Service du Travail Obligatoire-créé par la loi du 16 février 1943. Profitant de sa très bonne connaissance de la région, Lucien Lavanchy peut alors fournir des renseignements sur les diverses opérations de police prévues dans le Chablais et tout particulièrement de pister l’espion Yacinthe qui sévit dans le secteur. À ce moment de son activité secrète, il prend rapidement ses dispositions afin que sa famille soit mise en sécurité en lieu sûr. Durant l’hiver 1943/44, son chef FFI Valentin le charge de se procurer un véhicule destiné à la résistance. Il dérobe à Morzine l’unique Traction Avant du village appartenant au docteur Vuarnet dont le fils sera le célèbre skieur de l’équipe nationale.
Au printemps 1944, la Milice départementale, suite à des délations, se trouve en possessions d’informations concernant les activités clandestines du gendarme Lucien Lavanchy : Il est urgent qu’il disparaisse. Le commandant Valentin, lui demande qu’il prenne rapidement ses dispositions afin de rejoindre la clandestinité. Le 6 juin 1944, il est nommé chauffeur du commandant FFI Morel alias Valentin, agent de liaison entre les différents maquis de la région chablaisienne et responsable du garage et du parc automobile FFI du secteur. À Thonon-les-Bains, il participe physiquement à l’identification et à l’arrestation de l’espion Yacinthe et de divers collaborateurs, mais aussi à la réception des parachutages alliés sur le plateau de Glières et la libération de notre département.
Lucien Lavanchy est nommé maréchal des logis chef le 1er septembre 1944 et réintégré le 15 septembre 1944 dans sa brigade d’origine de Saint-Jean d’Aulph. Il est affecté le 1er décembre 1944 à la brigade de gendarmerie de La Balme de Sillingy puis à celle d’Annecy. Il termine sa carrière en tant que qu’adjudant-chef, commandant de la brigade de gendarmerie d’Annemasse.
Durant sa carrière, Lucien Lavanchy a reçu diverses décorations et distinctions :
- Médaille militaire
- Croix du combattant
- Médaille commémorative Guerre 1939/1945 avec barrettes « France » (campagne de 1940) et Libération (1940-1945)
- Croix du combattant volontaire de la résistance
- Insigne FFI n° 069012
- Insigne de combattant de l’Armée secrète de la Haute-Savoie
Remerciements à Madame Thérèse Tran The Tri et Denis Lavanchy pour l’aide qu’ils ont apportée à la rédaction de cette biographie.
[1] Gavot : Dans le Haut-Chablais, ce terme pourrait désigner le montagnard, celui d’en haut.
[2] Adopté Pupille de la Nation par jugement du 21 février 1925 du tribunal de Thonon-les Bains. Le père de l’intéressé Eugène Lavanchy du 11e BCA est blessé au pied et à la jambe droite le 8 juillet 1915.
Par Par Yves Domange, juillet 2024