Histoire & Mémoire Militaire Alpine

Recherches sur le fait militaire en Savoie (1870 - 1962)

Mobilisation générale de 1914 en Haute-Savoie : la "fleur au fusil" ?

Mobilisation du 30e RI le 4 août 1914 sur le Pâquier (Annecy)
Mobilisation du 30e RI le 4 août 1914 sur le Pâquier (Annecy)

Lorsque l’ordre de mobilisation générale est placardé le 1er août 1914, l'image d'Epinal est longtemps restée celle du départ des troupes la "fleur au fusil". Il est vrai qu'une célèbre photographie accréditant ce mythe a fait le tour des journaux depuis un bon siècle ! Les témoignages d’époque montrent toutefois des réactions plus contrastées, en France comme en Haute-Savoie.

Début août 1914, selon le préfet de Haute-Savoie, le patriotisme des Savoyards ne fait aucun doute : « La population conserve une attitude excellente, calme et témoigne un réel sentiment patriotique ». En réalité, les fiches de témoignages rédigées dans les villages livrent des réactions variées : 52 % d’entre elles traduisent la réserve des populations. Par exemple, la fiche de Chavannaz décrit « la population émue et consternée par la précipitation d’événements aussi tragiques ». 34 % des communes haut-savoyardes, gardent tout de même leur sang-froid, comme à Chessenaz : « La population a été calme et courageuse ; tout le monde a continué de travailler ». Seule une minorité de communes (14 %) s'enthousiasme : à Nâves, les hommes « apprennent la nouvelle sans manifester des sentiments de crainte. Il règne chez les jeunes un enthousiasme à l’idée d’aller se battre ». Dans les villes, les sentiments sont plus variés : « Moment historique que celui de cet appel aux armes qu’accueille la population comme un soulagement, après les heures anxieuses vécues depuis quelques jours. Dans les rues pleines de monde, des gens s’embrassent ou se serrent les mains avec une cordialité spontanée ; quelques femmes pleurent d’émotion ; on cause, on discute posément avec un calme qui décèle la résolution » note un témoin annécien. A Thonon-les-Bains, le jeune étudiant René Germain décrit ses rues agitées : « La guerre ! Ce mot, lu par dix, est entendu par cent et répété par mille : il roule de bouche en bouche, va, court, saute, vole, revient et emplit toute la ville. Les uns le clament avec fureur, avec colère, en gesticulant ; d’autres le prononcent avec une voix grave où perce l’anxiété, l’angoisse, la peur de l’inconnu. […] Je reviens chez moi la tête en feu, les oreilles pleines de ce brouhaha fantastique. »  

Le mythe de la ferveur patriotique généralisée s’est répandu depuis car, une fois passée le choc de l’annonce de la mobilisation, l’état d’esprit des Haut-Savoyards se retourne avec le départ des mobilisés et la déclaration de guerre de l’Allemagne le 3 août. A Bossey, on souhaite maintenant répondre à l’agression de l'Allemagne : « Tout le monde a bien compris que la guerre était une provocation insultante de l’Allemagne ». On minimise d’ailleurs la gravité de la situation : à Chens, « tous partirent avec l’idée bien arrêtée qu’ils rentreraient dans leurs foyers après quelques semaines ». Enfin, le sentiment national est présent : « On comprenait qu’il s’agissait de la France à défendre, son intégrité, son existence même. On se résignait aux sacrifices exigés par cette grande cause » écrit-on à Copponex. Ainsi, le sentiment de réserve diminue au profit d’une ferveur grandissante. Par exemple, à Groisy, « c’était un enthousiasme indescriptible. Le chant de La Marseillaise éclate de toutes parts ».
A Annecy, le départ du 11e BCA s’effectue le mercredi 5 août dans une allégresse qui masque mal l’émotion des soldats et de leur famille. Le chasseur alpin Louis Bobier témoigne :

"Le 5 au matin, nous embarquions dans le premier train. Je me rappellerai toujours le défilé à travers la ville. Jamais je n’avais vu une pareille affluence ; au lieu d’aller directement à la gare, on nous fit parcourir les principales rues de la ville nous avions chacun une fleur au canon du fusil, et les rues en étaient jonchées. La ville entière aux fenêtres nous faisait ses adieux. Des gens criaient « vive la France », d’autres « A Berlin » ; certains, pensant à leurs jeunes, partis aussi, ne pouvaient s’empêcher de pleurer en nous voyant partir pour la guerre. […] A l’instant précis où le train s’ébranla, la musique du 30e de ligne, sur le quai, nous joua le Chant du départ. La musique, et surtout les paroles ne pouvaient mieux être appropriées qu’à cette occasion. C‘était impressionnant et nous étions très émus. Nous partions, mais combien d’entre nous ne reviendraient pas. Sur le quai, la femme d’un capitaine du bataillon et se deux enfants pleuraient son départ".

C’est donc l'entrée en guerre du 3 août et les défilés de troupe avant embarquement qui font éclater la ferveur patriotique dans une majorité de communes, après un temps d'hésitation.

Par Sébastien Chatillon Calonne, mars 2021

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