Le 13e BCA dans les Vosges en 1915
A l'occasion de la célébration en octobre 2022 des 140 ans de l'installation du 13e BCA à Chambéry, revenons sur l'historique de ce glorieux bataillon savoyard qui a accueilli en ses rangs plusieurs générations de recrues de Savoie et d'ailleurs.
Le 13e Bataillon alpin de chasseurs à pied durant la Belle époque
Le 10 octobre 1880, le 13e BACP prend garnison à Embrun avec un détachement à Mont-Dauphin. Durant l’été 1881, il explore pendant plus d’un mois le Queyras et le Briançonnais. En septembre 1882, après avoir participé aux manœuvres du XIVe CA, le bataillon arrive à Chambéry, cantonnant à la caserne Curial. En 1883, le bataillon, sous les ordres du commandant Lapouge, effectue des reconnaissances dans les régions glaciaires de la Vanoise, des Ecrins et du Mont-Blanc. L’exiguïté de la caserne Curial, partagée avec des compagnies du 97e RI, ne convient pas aux chasseurs qui ne peuvent pas parquer leurs mulets. La municipalité craignant un départ d’une des deux unités, engendrant une perte financière sérieuse, étudie les possibilités de construction d’un nouveau casernement. Après de longues tractations et discussions, un quartier est édifié à Joppet qui reçoit le 13e BCP le 17 septembre 1889.
En 1889, le 13e forme, avec la 15e batterie alpine du 2e RA et un détachement du 4e génie, le 3e Groupe alpin, chargé de la défense de la Maurienne. Mais l’étendue du secteur à tenir est trop grande pour un seul bataillon. Il est décidé, en 1889, de créer un 3e groupe bis, avec le 1er bataillon du 97e RI, chargé de la partie centrale de la vallée, autour de Modane, laissant au 3e groupe la garde de la Haute-Maurienne, avec Lanslebourg comme cantonnement principal. Le 17 septembre 1889, le bataillon occupent le nouveau quartier construit à Joppet. En 1890 se déroule la première reconnaissance hivernale en raquettes. En 1891, le 13e BACP construit les postes d’altitude de la Turra et de Sollières et les occupe toute l’année à partir de 1892. L’année suivante, le bataillon entreprend la construction du fort de la Turra et des blockhaus du Mont-Froid. Le 25 juillet 1892, le lieutenant Porchery et l’adjudant Rozier se tuent à la Grande-Casse. Le lieutenant Messimy, futur ministre de la guerre, sort indemne de l’accident.
Le 18 mars 1896, une compagnie tente, au milieu de la tempête de neige, l’ascension du col de la Vanoise. Elle ne bat en retraite qu’après une marche de dix-huit heures dont douze en raquettes. Le commandant Outhier franchit les cols du Bouquetin, des Fours, de Bezin et des Roches. Une compagnie fait l’ascension de la Levanna occidentale pendant que d’autres franchissent les cols de l’Iseran, Pers, de la Séa et des Arses.
Entre 1891 et 1893, le 13e BACP construit les baraquements de la Turra et de Sollieres. Initialement occupé qu'en été, il l'est toute l'année à partir de 1893. La vie est rythmée par une organisation précise mais loin de la discipline du quartier Napoléon. Le temps est partagé entre les corvées intérieures, celles de déneigement et de ravitaillement. Des patrouilles sortent tous les jours reconnaître la frontière. A partir de 1906, l'arrivée du ski permet d'aller plus loin. Entre 1899 et 1904, le bataillon construit le fort de la Turra et les deux blockhaus du Mont Froid. En cas de conflit, les chasseurs doivent tenir ces ouvrages. Chose rare car normalement c'est l'infanterie alpine qui doit assurer ce rôle.
Le 25 juillet 1892, le lieutenant Messimy, futur Ministre de la Guerre (qui signa la mobilisation d’août 1914), le lieutenant Porcher, l’adjudant Rosier et le chasseur Chevallard, tous du 13e BACP, tentent l’ascension de la Grande-Casse à 3861 m. d’altitude. Les quatre hommes sont encordés quand une chute les entraîne dans la pente. Le lieutenant Porcher et l’adjudant Rosier décèdent sur le coup. Le chasseur Chevallard meurt quelques années plus tard des suites des chocs éprouvés. Le 1er octobre 1892, le chasseur Biennoz meurt accidentellement près du poste de la Turra. Durant l’hivernage 1893-1894, le chasseur Pierroz glisse et se tue à la Turra. Le 18 décembre 1901, 32 chasseurs du 13e BACP, mènent une reconnaissance au col du Baounet, au-dessus du hameau de l’Avérole, dans la région de Bessans, encadrés par deux officiers et un guide du pays. Une avalanche de 750 m se déclenche subitement sous leurs pas, entraînant tous les hommes du détachement au fond du vallon. Malheureusement une baïonnette, échappée de son fourreau, transperce la gorge du chasseur Morvan au cours de cette glissade involontaire. Le 6 septembre 1904, le chasseur Antoine Giry du 13e BACP se tue à la Turra.
Le 13e BCA dans la Grande Guerre
Dès la déclaration de guerre le bataillon occupe les positions du Mont Cenis. Le 12, il part pour Gérardmer. Il pénètre en Alsace et arrive le 15 devant Münster. Le 23 il se bat à Logelbach. Le 25, l'armée d'Alsace se replie sur la crête des Vosges. Du 27 août au 3 septembre, avec le 22e BACP d'Albertville, il mène de très violents combats à Mandray-Behouille. Le chef de corps Verlet-Hanus est tué le 28 août. Il est remplacé par le capitaine Boutle. Les pertes sont environs de 200 et 186 blessés.
Le 20 janvier 1915, le bataillon est engagé à l'Hartmannswillerkopf. Le 21, l'attaque se solde par un échec. Dans la journée, le chef de corps le commandant Barrie est tué. Il est remplacé par le capitaine de la Goutte. Le 27 février, les 13, 7 et 53e BCA lance une grande attaque. Les chasseurs sont rapidement arrêtés par les barbelés. Le sous-lieutenant Navello est tué. Le 5 mars, le 13 attaque de nouveau. Les chasseurs s'emparent d'un puissant Fortin. Le 26 mars, les chasseurs et le 152e RI s'emparent du sommet. Début mai, ils quittent le secteur laissant la place à l'infanterie. Le 14 juin 1915 commence la plus grande bataille menée par les chasseurs alpins dans les Vosges : la bataille de Metzeral. Elle est menée par les 47e et 66e DI. La 1 ère brigade de chasseur alpins (7,13 et 53) doit s'emparer de l'Hilsenfirst. Le 14 juin, le 7e BCA se lance à l'attaque. Sa 6e compagnie enfonce les lignes allemandes mais elle se retrouve isolée. Du 15 au 17, les 13e et 53e BCA tentent de percer les défenses allemandes. Le 17, le capitaine Regaud du 13, à la tête de deux sections du 7 et du 13, réussit à atteindre les encerclés. L'attitude héroïque des chasseurs font de cet épisode "la Sidi Brahim" de 1914-1918.
En 1916, le bataillon participé à la plus importante bataille de 1914-1918 : la Somme. Les trois divisions de chasseurs alpins et deux brigades sont engagées successivement de septembre à décembre. Le 13 attaque le Chemin Creux et la ferme de l'hôpital du 3 au 5 septembre où il obtient sa deuxième citation à l'ordre de l'armée. Du 15 au 20, il attaque Rancourt. Il ne subsiste que 110 hommes valides le 20. Le 6 novembre le bataillon combat à Sailly-Sallisel. Le 13 sort épuisé de l'offensive de la somme où il perd le plus de chasseurs de son histoire.
En 1917, le 23 ne participe pas énormément au Chemin des Dames et à la campagne d'Italie.
En 1918, il participe aux batailles de Champagne, Picardie, Saint-Quentin, Thiérache. Il termine la guerre avec 4 citations à l'ordre de l'armée, deux de la division et une brigade. Il reçoit la Médaille Militaire.
L’entre-deux-guerres pour le 13e BCA
En 1920, le 13e BCA part en Haute-Silésie maintenir la stabilité politique de la région.
Le 17 juillet 1922, le bataillon rentre à Chambéry qu'il a quittée en août 1914, il y a 8 ans.
Le 19 mai 1923, le 13 part en occupation dans la Ruhr car l'Allemagne à suspendue le règlement des dommages de guerre.
Le 3 janvier 1924, le bataillon rentre à Chambéry. Il peut enfin reprendre son entraînement montagne.
Mais en 1925, il part de juillet à novembre en Tunisie.
A partir de 1926, le bataillon reprend ses manœuvres alpines et l'occupation du poste de la Turra.
En 1930 est créée la Section d'éclaireurs skieurs du bataillon. Elle vie en permanence à la Turra. L'emploi du temps est divisé entre les corvées d'entretien et de ravitaillement, de reconnaissance et d'observation.
Le 28 février 1935, une importante avalanche tue 6 chasseurs du 13. Une seconde tue deux alpins du 99e RIA.
Pour éviter ces drames, deux téléphériques sont construits pour ravitailler les postes.
En février 1936, l'équipe de France de ski militaire participé aux J.O. de Garmisch-Partenkirchen. Elle est menée par le capitaine Faure du 13 et comprend également le caporal-chef Lisner du bataillon.
Le 13e BCA dans la Seconde Guerre mondiale
A la déclaration de guerre, en septembre 1939, le bataillon, commandé par le commandant Pochard, occupe les positions du Mont Cenis et de la Tura. Le 9 octobre il est relevé par le 67. Le 25 octobre, il part pour le Bas-Rhin en laissant sa SES en Maurienne. Le 10 décembre, le 13 est en première ligne à Neuweiher. Son Corps Franc, commandé par le sous-lieutenant Lefort mène de nombreuses patrouilles et embuscades. Le 27 décembre, le commandant Ponnet prend le commandement du 13. Le 26 janvier, le bataillon est relevé.
Le 1er février 1940, une Brigade de Haute Montagne est mise sur pied dans la région de Belley pour intervenir en Finlande face aux Russes Elle comprend la 5e DBCA (13e, 53e et 67e BCA) et la 27e DBCA (6e, 12e et 14e BCA). Mais la capitulation finlandaise met un terme à cette opération. Suite à l’invasion de la Norvège par les Allemands, le 9 avril 1940, la 5e DBCA, part pour Brest. Elle doit intervenir en Norvège, dans la région de Namsos, pour s’opposer aux Allemands qui ont débarqués à Oslo et Trondheim.
Le 12 avril, la 5e DBCA appareil de Brest pour l’Ecosse. Le 16 avril, le convoi quitte l’Ecosse. Le 19 avril, il arrive au large de la Norvege où il est attaqué par le sous-marin U46 puis successivement par 4 attaques de junker 88 et junker 87. Le croiseur Emile Bertin est touché par une bombe qui le traverse sans exploser. Le convoi rentre dans le fjord de Namsos. En début de soirée, les chasseurs débarquent et gagnent les bois environnants. Le 20 avril, l’aviation allemande détruit la ville, dont les maisons sont en bois. Pour avancer vers Trondheim, les chasseurs attendent l’arrivée du convoi transportant les véhicules. Tous les jours l’aviation ennemie bombarde le secteur même si deux batteries de DCA de 25 mm tentent de s’y opposer. Les chasseurs progressent lentement vers le sud mais les Anglais subissant une défaite à Lillehammer se replient précipitamment entrainant l’ordre d’évacuation de Namsos. Le 2 mai 1940, la 5e DBCA évacue Namsos en abandonnant le matériel lourd fraîchement débarqué. Elle est attaquée à plusieurs reprises par l’aviation allemande. A 10 h 08, un junker 87 Stuka atteint le contre-torpilleur le Bison chargé de troupes, causant des pertes et endommageant le navire. Les rescapés sont chargés sur différents navires. A 13 h 52 l’HMS Afridi est sérieusement touché avec des rescapés du Bison. Le personnel est évacué avant de couler. Le 5 mai le convoi arrive à la base anglaise de Scapa Flow.
Fin mai 1940, la 5e DBCA revient en France où elle intègre la nouvelle 40e division légère de chasseurs. Le 4 juin, la division reçoit l’ordre de se porter entre Senarpont et le plateau d’Hornoy. Le 5 juin, les unités de la 5e DBCA s’installent dans les différents villages, en formant des points d’appui fermés. Le 67e BCA occupe Bezencourt et Guibermesnil, le 53e est à Montmarquet et le 13e BCA s’installe sur le ruisseau du Liger et le bois de Brocourt.
Le 6 juin 1940, les Allemands passent à l’offensive. Dans la nuit du 7 au 8 juin, la 2e compagnie du 13e BCA du capitaine Montjean se porte en lisière du bois de Brocourt. Le sergent Mattei et deux chasseurs partent en reconnaissance dans le bois de Liomer, à la recherche du 19e BCP. Une fusillade éclate. Le chasseur Mizoules est mortellement touché et le sergent Mattéi, est blessé. A partir de 14 h, le bombardement d’artillerie et de mortiers s’intensifie. L’adjudant Simon reçoit un éclat dans le poumon. Les Allemands commencent à occuper solidement les arrières de la compagnie dans le bois de Brocourt. Le commandant Ponnet, chef de corps du 13e BCA décide envoie de décrocher à 18 h 30 pour la 2e compagnie, 18 h 45 pour la 1ère et 19 h pour la 3e. A 18 h 45, le capitaine Montjean reçoit l’ordre de se replier. L’intensité du bombardement est à son maximum. Les fantassins ennemis sont partout. La plupart des chasseurs sont à court de munitions. Alors, le capitaine Montjean ordonne « Baïonnette au canon ». Aussitôt les chasseurs sortent leur arme, la fixant sur leur fusil. Les visages sont anxieux. La sueur coule sur les fronts et les gorges sont nouées. La tension est à son comble. Derrière les gradés, les chasseurs se tiennent prêts à foncer. Soudain, le capitaine Montjean, accompagné des lieutenants Leroudier et Domingeon, se dresse en criant « en avant ». Sans réfléchir, d’un seul élan, leurs hommes bondissent et les suivent en poussant des cris pour se donner du courage. Les chasseurs progressent par bonds de 8 à 10 mètres. Rapidement, ils sont au contact avec l’ennemi. Les Allemands sont stupéfaits de voir ces hommes charger à la baïonnette comme durant la Grande Guerre. Des rafales, des coups de feu claquent, des hommes tombent. Les chasseurs en viennent au corps à corps. Le lieutenant Leroudier est tué à la tête de sa section. Des Allemands crient aux chasseurs de se rendre, mais les Français répondent par « en avant, en avant ». Les gradés stimulent sans cesse leurs hommes. Le capitaine Montjean, le révolver à la main, tombe la mâchoire fracassée par une rafale d'arme automatique. Le lieutenant Dominjeon est tué à son tour. Avec eux, c’est plus de la moitié de l’effectif des deux sections qui reste sur le terrain, que ce soient des blessés ou des tués. Juste derrière, les 3e et 4e sections s’engouffrent dans la brèche ouverte et réussissent à franchir le rideau ennemi. Le sergent Maurice, servant lui-même un FM et complètement encerclé, refuse de se rendre et continue à tirer jusqu’à être tué. Les chasseurs doivent traverser un champ de 400 m. Les balles et rafales ennemies sifflent dans tous les sens, causant de nouvelles pertes. Le sergent Mollard tombe, mortellement atteint. Vers 19 h, le sous-lieutenant Lefort, dernier gradé vivant de la 2e compagnie, accompagné de quelques chasseurs, se présente au commandant Ponnet. La 2e compagnie du 13e BCA a payé un lourd tribut durant cette journée du 8 juin 1940. Elle mérite vraiment le surnom qu'elle a acquis durant le premier conflit mondiale "la belle deux".
Dans la nuit du 9 au 10 juin, les 5e et 7e panzerdivisions, qui ont atteint la Seine, pivotent vers le nord-ouest et remontent vers la côte pour encercler les troupes françaises en retraite dans cette région, et les acculer à la mer autour de Saint-Valéry-en-Caux. La 40e DI se replie vers le Havre. Les hommes sont épuisés par cette étape longue de 35 à 40 kilomètres, effectuée à pied, sans ravitaillement. Le 10 juin, les chars allemands attaquent les colonnes. Les 13e BCA explose en une multitude de groupes. Le 11 juin, le capitaine de Thiersant regroupe des éléments des 1e et 2e compagnies et parvient à Veules-les-Roses où ils participent à la défense de la localité. Le 11 juin, le dernier groupe se battant à Houdedot doit se rendre. De nombreux hommes tentent de franchir les lignes ennemies et de traverser la Seine. Peu d’entre eux y arriveront et la majorité des chasseurs partent en captivité pour 5 ans.
Après l'armistice de juin 1940, la France obtient le droit de conserver une armée de 100000 hommes. Le 13e BCA reste à Chambéry sous les ordres des colonel Lafaille puis du Picandet. Il fait partie de la 3e DBCA avec les 7e et 37e BCA. La SES occupe le chalet de l'Aurore à la Féclaz. De nombreuses armes sont camouflées pour la reprise du combat. Suite à l'invasion de la zone libre, le bataillon est dissous le 27 novembre 1942.
Fin août 1944 les Allemands quittent la Savoie et se replient sur l'Italie. Les différents maquis tentent de les bloquer, sans succès. Le 1er et octobre 1944 est formé le Bataillon de Savoie, commandé par le colonel Héritier. Le 13e gagne la haute Tarentaise. Plusieurs reconnaissances offensives sont lancées contre les germano-italiens qui tiennent le col du Petit Saint Bernard. Le 1er janvier, le bataillon est officiellement recréé. Il tient le secteur de la Rosière face au Roc Noir et à la Redoute Ruinée. Tout l'hiver se passe dans ce face-à-face entrecoupé d'accrochages et de "coups de main" de la SES du lieutenant Lissner.
Par Laurent Demouzon, 2022