Pierre Lamy est né à Angoulême le 23 mars 1909. Après des études à l’École Normale, il a accompli son service militaire à Metz, puis a suivi une formation à Saint-Cyr, où il est devenu sous-lieutenant de réserve. En 1931, il est nommé instituteur dans un village de Charente (Cherves-de-Cognac) avec sa femme Marthe Poitou, elle-même institutrice. En 1938, il réussit le concours d’entrée à l’Inspection du Travail et devient le premier inspecteur du travail de la Haute-Savoie. Quand survient la guerre, il rejoint le 179e bataillon alpin de forteresse à Gex, dont il gère les transmissions.
Après la signature de l'armistice de juin 1940 par le maréchal Pétain, il reprend son poste, dans le combles de la préfecture d'Annecy. Fin 1941, Paul Viret devient responsable du mouvement Libération pour la Haute-Savoie. Pierre Lamy se met aussitôt à sa disposition et lui fournit régulièrement des rapports sur la marche des industries, achemine des tracts et des journaux clandestins.
Dès le début de l'année 1941, le régime nazi souhaite recruter de la main-d'œuvre en France via des agences de placement, d’abord dans la zone occupée, puis dans la zone non occupée en mars 1942. Les autorités du ministère du Travail, notamment les services d'inspection et les bureaux de placement départementaux, sont encouragés à coopérer avec ces agences pour faciliter le recrutement.
De retour au pouvoir en avril 1942, le 1er ministre Pierre Laval réactive la collaboration avec l’Allemagne en annonçant la mise en place de la Relève, qui consiste au départ volontaire d'ouvriers vers l'Allemagne en échange de la promesse du retour en France d'un certain nombre de prisonniers. Cette décision est officiellement annoncée le 22 juin 1942 lors d'un discours radiodiffusé, rendu célèbre par sa déclaration : « Je souhaite la victoire de l'Allemagne parce que, sans elle, le bolchevisme s'installerait partout en Europe ».
Même sous sa forme imposée, la Relève ne parvient pas à répondre entièrement à la demande allemande en main-d'œuvre. La désignation des requis n'est plus du ressort de l'Inspection du travail, tandis que les Offices du travail sont placés sous la supervision du ministère de la Production industrielle. Pierre Lamy maintient le contact avec l'Office, désormais transformé en commissariat au STO, et réussit également à s'infiltrer dans le bureau de placement allemand.
À partir de 1943, il use de ses fonctions administratives pour aider les jeunes à échapper au STO : délivrance de toutes les dérogations possibles, fabrication de fausses cartes d'identité, et en dernier recours, visite à domicile pour prévenir de l'arrestation imminente du requis. C'est un véritable défilé à son bureau, comme à son domicile : les jeunes viennent faire régulariser leur situation.
Pierre Lamy devient responsable de l’Armée Secrète (A.S.) pour le secteur d'Annecy et membre du comité départemental de la Résistance en septembre 1943. Cependant, ses responsabilités sont de courte durée car l'action qu'il mène grâce à ses fonctions d'inspecteur du travail n'est pas passée inaperçue auprès des services de répression qui le surveillent. Lamy se trouve en indélicatesse avec sa hiérarchie, qui souhaite l’évincer mais le maintient, faute de remplaçant disponible. Avec Paul Viret, devenu responsable des comités sociaux, il parcourt le département, encourage les entreprises à saboter les productions destinées à l'Allemagne, fournit des informations sur les industries en particulier en vue de préparer les bombardements alliés tel celui de l’usine SRO (future SNR) survenu le 10 mai 1944. Après avoir participé à la délimitation du périmètre d'intervention, il constatera officiellement les dégâts auprès des autorités d'occupation avant de faire son rapport à la Résistance. C'est sur la dénonciation d'un résistant des Glières, Roger Échasson, menacé par la Gestapo, que Lamy doit son arrestation le 26 juin 1944 rue Sommeiller à Annecy.
Avant que Pierre Lamy ne soit arrêté, Échasson l’a dénoncé, et la Gestapo a commencé à le surveiller de près, jusqu’au jour fatidique du 26 juin. Dans la matinée, un dénommé Picollet se présente au bureau de Lamy, à l'hôtel de France, porteur d’un message de Jean Monnet dit « Baron », de l’état-major de l’A.S., ainsi rédigé : « Je voudrais te rencontrer, aux Glières, pour une affaire de travail. Lieutenant Monnet. » L'inspecteur griffonne sur le morceau de papier que cela est impossible (signant de son nom de guerre « Larousse »), car il doit se rendre à Thonon, puis l'agent de liaison repart vers ses véritables maîtres. Il vient apporter au Dr Jeewe (chef de la sécurité nazie, le Sipo-SD, en Haute-Savoie) et à Kämpfert dit Kampf (membre de la Gestapo, une subdivision de la Sipo-SD) la preuve qui leur manquait.
Ce qui qui est étonnant dans cette affaire, c'est que Pierre Lamy, ancien chef de secteur, n'ait pas été méfiant en voyant la signature. En effet, dans ces circonstances, on utilise généralement un pseudonyme plutôt que son nom réel. Vers onze heures, il rencontre Paul Viret, avec qui il prend un café chez Curt, rue Sommeiller. De retour à son bureau, et après avoir rangé des papiers, Lamy sort dans la rue, suivie par Picollet, tandis que Échasson se planque à proximité. À la hauteur de la rue Président-Favre, Pierre Lamy est arrêté par le l'adjudant SS Müller, membre de la Gestapo d'Annecy, et embarqué à Saint-François. Le SS Kampf et sa maîtresse française, Lina Dalbion, le questionnent toute la journée avant de le transférer, à vingt-deux heures, à la Villa Schmid, 19 avenue d'Albigny. Il y est atrocement torturé toute la nuit, sans résultat pour ses ennemis, qui se lassent.
Le 28 juin 1944, il est emprisonné dans les locaux de l'école Saint-François à Annecy, où sa femme Marthe est elle aussi amenée. Lui, qui connaissait tout de la Résistance en Haute-Savoie, n’a pas parlé sous la torture, sauvant ainsi les vies de ses camarades et celles de nombreux autres, parfois inconnus. Le 18 juillet, il est emmené en voiture Route du Col de Leschaux et exécuté sauvagement dans ce bois en contre-bas du monument par la Schutzpolizei, la police allemande. Après son arrestation, Pierre Lamy a été remplacé à la tête du secteur A.S. d’Annecy par l’ex-sergent du 27e BCA Robert Poirson, dit « Roby ».
Un mois plus tard, le 19 août, Annecy et la Haute-Savoie sont libérées du joug de l'occupant. Sa femme Marthe retrouve la liberté ce jour-là. Ce n’est qu’un peu plus tard, en janvier 1945, qu’on en saura un peu plus sur la fin tragique de ce patriote. Après la Libération, l'interrogatoire de Müller et la version du caporal SS Schonheiter nous apprennent que le 18 juillet, le SS Dr Jeewe avait ordonné à Müller d'emmener Pierre Lamy vers le col de Leschaux et de l'abattre. Ayant expliqué à Jeewe qu’il ne voulait pas le faire, c'est alors qu'il lui a dit « Schoenheiter, agent de la Gestapo, vous accompagnera et l'exécutera... ». Vers 14 heures, le même jour, ils se sont rendus en voiture, pilotée par Luetgens, chauffeur de la Gestapo, à l'école Saint-François. P. Lamy leur a été remis par deux Schupos (policiers) porteurs de pelles, qui les ont accompagnés. Suivis d'une voiture de la Feldgendarmerie et de quatre gendarmes, dont Keilpflug, ils se sont par la suite rendus à Leschaux. Vers la borne kilométrique 11, au lieu-dit « Le Bourneau », ils sont descendus des voitures. Lamy marchait à côté de Müller. Il s'engagea sur leurs indications dans le bois situé à gauche de la route à environ 25 mètres. Schoneheiter lui a tiré deux coups de pistolets dans le dos, l'achevant ensuite d'une balle dans la tempe droite. La victime a été enterrée par les deux Schupos qui les accompagnaient. L'opération terminée, ils sont rentrés à Annecy » (extraits tirés du dossier Lamy, dans les archives du cabinet du Préfet de Haute-Savoie).
Grâce aux indications fournies par Müller, le corps de Pierre Lamy a été découvert le 30 août 1944. Il fut inhumé le 1er septembre au cimetière d’Annecy, accompagné par une foule considérable. Il repose aujourd’hui dans le carré militaire de Loverchy. En hommage à ce courageux résistant haut-savoyard originaire de l'Angoumois, le monde combattant a érigé un imposant monolithe en granit placé à gauche de la route, dans le sens de la montée.
Pierre Lamy obtient la mention « Mort pour la France » et fut nommé, à titre posthume, Chevalier de la légion d’honneur, avec croix de guerre et médaille de la Résistance. Pierre Lamy est cité à l’ordre de la Nation, avec attribution de la Croix de guerre avec palme, le 16 décembre 1944 :
« Animateur de l’A.S. d’Annecy depuis 1942, s’est dévoué intégralement pour la lutte clandestine contre l’occupant. Dénoncé par un traître, et arrêté par la Gestapo au mois de juin 1944, a subi toutes les tortures sans fournir aucun renseignement sur l’organisation de l’A.S. Fusillé le 18 juillet 1944, est mort héroïquement pour la France ».
Depuis, diverses actions entretiennent la mémoire de Pierre Lamy :
- En Haute-Savoie, un monument fut édifié à proximité du lieu de son exécution.
- De nombreux dossiers relatifs à Pierre Lamy figurent dans les archives du Mémorial de l’oppression créé à Lyon en août 1944.
- Depuis 1949, la salle de la Bourse du Travail d’Annecy, devenue salle polyvalente en 2007, porte son nom.
- Robert Vuillermé, de l’Association pour l’étude de l’Histoire de l’Inspection du travail, rédige une brochure biographique de Pierre Lamy en 1994. D’ailleurs, cette association décerne un prix Pierre Lamy chaque année.
- La promotion 1995 d’inspecteurs du travail prit le nom de Pierre Lamy.
- Depuis 2007, une plaque lui rend hommage dans le hall de la Préfecture de Haute-Savoie.
- En Charente, une stèle fut érigée à Cherves-de-Cognac, où il fit ses débuts d’instituteur.
- Le 14 mars 2012, une salle Pierre-Lamy fut inaugurée dans les locaux du ministère du Travail rue de Grenelle à Paris par le ministre Xavier Bertrand.
- Le 20 novembre 2014, à Angoulême, le lycée professionnel du bâtiment de Sillac, installé dans les anciens locaux de l’école normale d’instituteur, inaugura une salle Pierre-Lamy.
- Le hall et la salle de réunion du lycée Baudelaire d’Annecy s’appellent Pierre-Lamy depuis une date inconnue. Des élèves y font apposer une plaque le 18 juin 2024.
Par Ana Grigalashvili & Emma Delouille, élèves de Terminale du Lycée Baudelaire (Annecy) sous l'égide de S. Chatillon Calonne, 2024