Histoire & Mémoire Militaire Alpine

Recherches sur le fait militaire en Savoie (1870 - 1962)

Raymond Jabin, un pilote français dans la résistance italienne

Bombardier moyen Bristol Blenheim de l'adjudant Pilote des FAFL Raymond Jabin
Bombardier moyen Bristol Blenheim de l'adjudant Pilote des FAFL Raymond Jabin

Le guéretois Raymond, Charles Jabin n’a que dix-neuf ans lorsqu’il s’engage dans l’Armée de l’Air française. Affecté dans un premier temps à la base aérienne de Cazaux (Gironde), il obtient le 2 décembre 1935 son brevet de pilote militaire. En février 1940, il est affecté à la base aérienne (BA 101) de Toulouse-Francazal afin de suivre un stage de pilote de bombardier au Centre d’Instruction de Bombardement. Il vole lors de sa formation sur l’antique Potez 540, vétéran de la guerre d’Espagne, ainsi que sur les bombardiers lourds obsolètes que sont les Bloch 200 et 210 ainsi que sur l’Amiot 143.

L’envol vers la Grande-Bretagne

Ayant entendu l’appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle, le sergent-chef Jabin et l’enseigne de vaisseau de 1er Classe Paul Genin, présent aux essais du nouveau bombardier français Amiot 354[1], décident de partir en Angleterre. Ce départ de la base de Cazaux aura lieu au matin du lundi 24 juin 1940, jour de la signature de l’armistice entre la France et l’Italie (Armistice de la Villa Incisa). La bataille de France se termine officiellement le lendemain. Aux commandes du bombardier Amiot 354 n° 21, « emprunté » à l’Armée de l’Air, nous trouvons le sergent-chef pilote Raymond Jabin, l’officier de marine pilote de réserve Paul Genin et le sergent mécanicien-mitrailleur Jean Bost. A ce voyage se sont joints quelques sous-officiers aviateurs de la base en partance pour l’Angleterre. Paul Genin, ingénieur de formation, s’est chargé d’emporter avec lui toute la documentation technique des essais en cours des aéronefs français. Le même jour, le bombardier français se pose, sans encombre, sur le terrain d’Odiham (Hampshire) dans le sud de la Grande-Bretagne.

Après un passage au camp de regroupement RAF St Athan au sud-ouest de Cardiff (Pays de Galles), Raymond Jabin est envoyé à la Royal Victorian Patriotic Sholl (Londres) pour y subir les interrogatoires de sécurité du MI5, le contre-espionnage britannique. En juillet 1940, il contracte un engagement dans les Force Aériennes Françaises Libres (FAFL). Puis en août 1940, il est envoyé en stage de conversion rapide sur Bristol Blenheim IV (Bombardier léger, bimoteurs, triplace) et reçoit le grade d’adjudant dans les FAFL.

Départ pour l’Afrique Équatoriale Française

Les 26, 27 et 28 août 1940, connus sous le nom des trois glorieuses, l’Afrique équatoriale française (AEF) se rallie à la France libre. Rapidement est créé en Grande-Bretagne l’escadrille indépendante Topic des FAFL destinée à protéger l’Afrique équatoriale française (ou Afrique française libre) contre d’éventuelles attaques des forces aériennes de Vichy implantées au Gabon. L’adjudant pilote Jabin est affecté à cette escadrille Topic et gagne l’AEF où il y trouve huit bombardiers Bristol Blenheim IV transformés en chasseurs. Le 20 septembre 1940, il est rappelé en Grande-Bretagne au camp d’Odiham pour poursuivre sa formation opérationnelle sur Bristol Blenheim IV en vue d’un nouveau départ pour l’Afrique Équatoriale.

Le 16 octobre 1940, l’ensemble du personnel navigant -dont Jabin - et les techniciens britanniques de l’unité-embarquent pour l’Afrique. Après un long périple, ils arrivent fin novembre 1940 au camp de Maiduguri (Maïduguri ou Maidougari) au nord-est du Nigeria, non loin de la frontière du Tchad. Le 21 décembre 1940 marque pour Jabin la première mission de reconnaissance armée sur des Bristol Blenheim rééquipés en version bombardement mais l’escadrille Topic est dissoute le 24 décembre 1940. Une partie du personnel navigant, en surnombre, rentre en Grande Bretagne pour suivre des nouveaux stages d’instruction dans le cadre de futures opérations en Syrie : Le français Raymond Jabin est du voyage.

L’adjudant Jabin sur le terrain d’opérations au Moyen-Orient

Après la prise de Koufra (2 mars 1941), les Blenheim du GRB 1[2] - Groupe Réservé de Bombardement n° 1 - sont envoyés au sud de Khartoum (Soudan) sur le terrain de Gordon’s Tree (Nil blanc) dans le cadre de la campagne d’Afrique Équatoriale : Érythrée - Abyssinie – (printemps 1941) puis à Damas (Syrie) où une partie du Groupe arrive le 16 août 1941. Au début du mois de novembre 1941, le français repart via la Grande-Bretagne pour Damas en Syrie où il est enregistré à la Compagnie de l’Air du Moyen-Orient et affecté au Groupe de Bombardement n°1 Lorraine. Le GB Lorraine fait mouvement sur l’Égypte à l’ouest d’Alexandrie (Région de Fuka) puis à Sidi-Barrani ville côtière à 95 km de la frontière libyenne.

Le 21 novembre 1941, le GB Lorraine effectue ses premières missions de guerre à l’ouest de Sidi Barrani. Ses objectifs sont les regroupements de blindés Allemands (Panzerdivisionen de Rommel) ainsi que les unités blindées italiennes de la 132e division Ariete et divers convois de véhicules ennemis.
Le samedi 22 novembre 1941, Jabin pose son Blenheim sur le terrain de campagne LG 075 à l’est de Tobrouk (Landing Ground). L’équipage est composé du lieutenant-observateur Charles Pougin de la Maisonneuve et du sergent-chef radio-mitrailleur Henri Bruneau. Le dimanche 23 novembre 1941, tous les Blenheim du Groupe Lorraine attaquent des colonnes de chars ennemis lors d’une mission au sud de Tobrouk.
Le lundi 24 novembre 1941, l’équipage Jabin/Pougin/Bruneau attaque une concentration de chars allemands au sud-est de Tobrouk mais des ennuis moteur l’oblige à atterrir sur terrain de secours.
Le mardi 25 novembre 1941, les équipages du Groupe avec le Squadron 45 attaquent un convoi à l’ouest de Sidi Omar.
Le mercredi 26 novembre 1941, une formation de six Blenheim, dans laquelle Jabin occupe la place d’ailier droit, est engagée dans un combat durant lequel un des bombardiers est touché par un obus de la Flak (artillerie anti-aérienne allemande). Dès 7 heures, nouveau décollage des cinq Blenheim restant, formation où le français reste ailier droit, en direction du secteur de Sidi Omar (frontière égypto-lybienne). Au cours de l’après-midi, le groupe attaque des colonnes ennemies aux alentours de la colline de Trigh Capuzzo[3].
Le Jeudi 27 novembre 1941 : QGO. Les appareils restent cloués au sol suite à une tempête de sable.

En plus des missions d’attaques au sol des colonnes mobiles ennemies, les appareils du Groupe Lorraine doivent effectuer des missions de reconnaissances armées. Ces reconnaissances sont effectuées par un seul avion sans la protection de la chasse. Le vendredi 28 novembre 1941, l’ensemble du Groupe décolle tôt le matin pour aller bombarder les pistes entre El Adem (Tobrouk) et fort Capuzzo[4] mais le mauvais temps ne permet pas de trouver les objectifs. Du fait de la mauvaise météo, le commandant du Wing 270 duquel dépendant le groupe Lorraine, ordonne des missions secondaires de reconnaissances sur plusieurs points de la côte méditerranéenne. Trois appareils du groupe décollent individuellement pour une exploration au-dessus de la route côtière libyenne de Cyrénaïque.

Le Blenheim de Jabin abattu par la chasse allemande

À 15 heures, l’équipage Jabin/Pougin/Bruneau sur le Bristol Blenheim N 3624 attaque sa septième mission de la journée. Le bombardier de la France-Libre est abattu par le Mf 109 E7 piloté par le lieutenant Hans Remmer de la I/JG 27. Dans le journal de marche de la I/JG 27, on peut lire en date du 28 novembre 1941 : « …vers 15 h., cinquième victoire du Staffelkapitän à l’est d’El Gazala (Cyrénaïque) sur un Blenheim IV solitaire abordant la croix de Lorraine de la RAF… » Jabin, arrive à poser son appareil en flammes non loin des lignes ennemies. L’équipage est recueilli par un poste de secours de l’armée italienne. Le lieutenant Pougin de la Maisonneuve succombe à ses brûlures le dimanche 30 novembre 1941, le sergent-chef Bruneau légèrement brûlé au pied et au visage est expédié dans un camp de prisonniers en Allemagne. L’adjudant Jabin, gravement brûlé, est envoyé par avion sanitaire dans un hôpital militaire italien de Sicile puis transféré sur le continent à l’hôpital militaire de Piacenza. Là, le docteur Giuseppe Zaninoni et des collègues du corps médical militaire, antifascistes, prennent grand soin de lui : notre pilote français recouvre la santé en trois mois.

L’adjudant Jabin prisonnier de guerre en Italie

En février 1943, à la suite de sa guérison, le français est interné au campde concentration de prisonniers de guerre n°62 Camp della Grumelina de Grumello del Piano près de Bergamo (Lombardie)[5]. Rapidement, au sein du camp, Jabin participe activement à l’organisation des filières d’évasion de prisonniers en direction de la Suisse. À la suite du débarquement alliés en Sicile, puis dans le sud de la botte italienne, l’arrestation de Mussolini et la signature de l’armistice du gouvernement Badoglio ; les mouvements de la résistance armée, existants déjà dans les Alpes italiennes, d’enhardissent. Dès le 10 septembre 1943, les maquis procèdent à des attaques contre les troupes allemandes qui viennent d’occuper le territoire national et contre les milices fascistes de la nouvelle la République Sociale Italienne (RSI) ou République de SALÒ[6]   proclamée par un Mussolini libéré par ses alliés germaniques. C’est durant cette période que l’adjudant Jabin s’évade du camp n° 62 et gagne les mouvements de résistances dans la région de Lecco.

Jabin dans la résistance italienne

Sous le pseudonyme de Marcel, il participe à divers coups de main avec des membres des Brigades d’Assaut Garibaldi d’obédience communiste (peuvent être comparées aux FTP français) dans les vallées[7] de la Seriana, de la Brembana, et au col de la Zambla à 1257 mètres d’altitude. Il fait la connaissance du résistant Giorgio Issel, ex sous-lieutenant d’artillerie lequel commande un groupe de résistants composé d’anciens prisonniers de guerre (néo-zélandais, grecs, français, anglais, yougoslaves) et jeunes du pays qui opèrent dans la vallée de la Brembana. À la suite du ratissage du 18 octobre 1943 perpétré par les Brigades noires fascistes, le groupe est contraint de se replier dans le petit hameau de Cantiglio (807 m.) situé au-dessus de la vallée de Taleggio au pied du Mont Cancervo (1835 m.). Fin novembre 1943, la présente du groupe est dénoncée aux forces de répression. Avertis, la majorité des maquisards quittent le hameau pour chercher refus dans d’autres vallées. À la vue de l’énorme quantité de neige tombée récemment dans la région, le sous-lieutenant Issel estime qu’il impossible aux troupes allemandes et fascistes de monter à Cantiglio. Marcel, Issel et une dizaine de résistants restent sur place.

Dans la nuit du vendredi 3 au samedi 4 décembre 1943, une centaine de miliciens des Brigades noires et une cinquantaine de SS montent vers Cantiglio par trois itinéraires différents. Il semblerait que les maquisards furent surpris dans leur sommeil vers trois heures du matin. Giorgio Issel, Evaristo Galizzi et Marcel sont abattus les armes à la main, tandis que quatre autres maquisards, sans armes, sont arrêtés et déportés en Allemagne. L’opération se termine dans l’après-midi du 4 décembre 1943, après que les troupes fascistes et nazies aient mis le feu au hameau, aux chalets des environs et à la chapelle. Le dimanche suivant, un employé communal du village de Taleggio, envoyé à Cantiglio, trouve trois corps mutilés. Ils seront redescendus et enterrés clandestinement, de nuit, trois jours plus tard à Pizzino (village dans le bas de la vallée). Leurs funérailles auront lieu à la Libération.

Épilogue

Aujourd’hui, une plaque commémorative, rappelant le combat de la nuit du 4 décembre 1943, a été placée dans le modeste cimetière de Pizzino et porte au côté du patronyme de Jabin la phrase suivante : « Pilota caduto in combatmento. Venne del cielo » (« Pilote tombé en combattant. Il venait du ciel »). Le village de San Giovanni Bianco, non loin des célèbres termes et eaux de San Pellegrino, a donné le nom de sa place principale aux martyres des combats de Cantiglio du 4 décembre 1943. Par la suite, la dépouille de Raymond Jabin fut restituée à sa famille en France. Elle repose au cimetière communal de Jarnage dans la Creuse. Le nom de Jabin est gravé sur le monument aux morts de cette ville. Mort pour la France, il a reçu à titre posthume la médaille de la résistance avec rosette.

 

[1] L’Amiot 354, bombardier moyen, bimoteurs, est issu de la grande famille des aéronefs conçus par le normand Félix Amiot. À l’époque, cet appareil fut qualifié d’avion de combat français le plus élégant mais produit tardivement et en trop petite quantité, il joua un rôle très modeste dans la campagne de France de 1939/1940.

[2] Le GRB 1 est né le 24 décembre 1940 d’une fusion de l’Escadrille Topic et de l’escadrille de bombardement du Groupe Mixte de Combat n°1. Le GRB 1 sera dissout le 02 septembre 1941.

[3] Mi-novembre a débuté dans la région l’opération alliée Crusader.

[4] Fort Capuzzo ou Ridotta Capuzzo est une fortification construite par les italiens au nord-est de la Lybie italienne et de l’Égypte. Durant la Seconde Guerre mondiale, ce fort fut pris et repris de nombreuses fois par les troupes de l’Axe et alliées.

[5]Le camp della Grumelina regroupait environs 3 à 3500 prisonniers militaires d’origines yougoslaves, grecques, cypriotes qui n’étaient pas soumis, lors de leur détention, aux conventions internationales de Genève. Par la suite, des prisonniers militaires britanniques, français, africains puis après septembre 1943 des soldats italiens ont été détenus dans ce camp.

[6]Salò est une petite ville au bord du Lac de Garde, dans la Province de Brescia et la Région de Lombardie.

[7] Ces vallées appartiennent au massif des Alpes bergamasques (Alpes orientales centrales italiennes).

Par Yves Domange, 2023

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