Histoire & Mémoire Militaire Alpine

Recherches sur le fait militaire en Savoie (1870 - 1962)

Un espion du IIe Reich démasqué à Annemasse en juillet 1916

Photo d'identité de l'espion
Photo d'identité de l'espion "OES Max" (ADHS – 4 M 372-1916)

Faisant face à une Suisse neutre durant la Première Guerre mondiale, la petite ville frontalière haut-savoyarde d’Annemasse abrite déjà un service de contre-espionnage civil (C.E). Officiellement, ce service porte le nom de Police spéciale des Chemins de fer et de la frontière. Il est chargé, avec la douane, de surveiller les nombreuses personnes qui franchisent régulièrement la frontière française. Dès l’été 1914, les services de renseignement militaire français (S.R) et allié (anglais) s’installent au centre de la cité annemassienne. Cette dernière va servir de base de départ pour la recherche d’informations - militaires, diplomatiques et politiques - sur les pays de l’axe. En 1915, la guerre économique devient un nouvel aspect de cette lutte sans merci que se livrent les deux camps belligérants. Il est donc nécessaire pour les Services d’obtenir le maximum d’informations chez l’adversaire dans ce nouveau domaine d'action.

Le vendredi 14 juillet 1916, en gare d’Annemasse, les fonctionnaires de la Police spéciale des Chemins de fer et de la frontière interpellent un jeune voyageur venant de Genève. Ses papiers d’identité indiquent qu’il s’identifie à : « OES Max, né le 26 mars 1891 à Romanshorn, canton de Thurgovie, fils de Max-Emilien et de Bertha Früh, de nationalité helvétique, sommelier, cuisinier. » La fouille de l’intéressé révèle qu’il est en possession d’un contrat d’engagement pour le Chamonix Palace, de trois certificats de travail de divers hôtels, d’un extrait d’immatriculation du personnel hôtelier établi à Évian et d’une somme de 26,05 francs suisses. En réalité, cette interpellation n’est pas le fait du hasard. Cet individu est connu du Bureau interalliés du renseignement ; sur sa fiche d’attention est inscrit en lettres rouges « Espion au service de l’ennemi – Culpabilité certaine ». En effet, depuis plusieurs mois, les voyages incessants de l’intéressé ont attiré l’attention des services de renseignement britanniques et français. L'espion OES est mis en garde à vue dès le 14 juillet 1916 à la gendarmerie d’Annemasse (1, rue d’Étrembières). Il est entendu, du 17 juillet 1916 au 23 juillet 1916, dans les locaux du commissariat spécial, rue du Nord (actuellement rue du Docteur Favre) à Annemasse. Le commissaire spécial adjoint de police Antonin Nicolaï est chargé d’établir la culpabilité du suisse pour des « actes d’espionnage dirigés contre la France et au détriment d’une puissance étrangère alliée de la France ». Lors de sa première audition, le suisse explique qu’il se rend à l’hôtel Chamonix Palace pour honorer un contrat qu’il vient de signer afin d’y occuper l’emploi de chef d’étage ou de chef de rang.

Avant la déclaration de guerre, l’Helvète reconnait avoir exercé divers métiers dans l’hôtellerie de luxe en particulier en Italie, en France, en Suisse et en Allemagne. Les enquêteurs découvrent que ce modeste employé d’hôtel, parlant cinq langues, possède de grandes connaissances en cartographie et topographie. Il est capable de tracer de mémoire, à main levée, des sites qu’il a fréquentés en Italie. Au cours d’une de ses nombreuses auditions, il reconnait, lorsqu’il travaillait en Allemagne au Grand Hôtel Bellevue de Baden-Baden (mai 1915-novembre 1915) avoir été approché par un officier des services de renseignement allemand du poste Lörrach de la Villa Rosenfelds dans le Land de Bade. Le militaire allemand, après avoir vérifié que sa cible (OES) parle effectivement plusieurs langues et en particulier l’italien, lui propose des voyages dans la péninsule italienne. Cet « emploi » bien rémunéré l’intéresse mais « …je ne veux pas voyager pour des questions militaires… »dit-il. Aux enquêteurs français, il indique « …ce genre de travail ne me paraissant offrir aucun danger, j’acceptai… d’autant plus que l’Allemagne ne se trouve pas en état de guerre avec l’Italie… ». Dès le mois de juin 1915, les employeurs de notre apprenti espion lui imposent un premier voyage d’étude à Milan. Il doit leur fournir des informations d’ordre économique sur la région Lombarde. Est-il au courant que le Royaume d’Italie est en guerre avec l’Autriche -Hongrie, alliée de l’Allemagne, depuis le 23 mai 1915 ? À partir de l’été 1915, les voyages d’observation se multiplient, de plus en plus au sud de la botte (Genova, Alessandria, Salermo, Roma, Taranto, Napoli, etc..) ; les objectifs économiques deviennent carrément militaires. Selon les enquêteurs, le suspect, lorsqu’il est arrêté partait pour une sixième mission en Italie afin d’obtenir des informations sur les navires militaires de la marine royale.

Dès le dimanche 23 juillet 1916, l’officier de police judiciaire du contre-espionnage clôt la procédure, et, l’inculpé est transféré à Lyon pour être présenté devant le général gouverneur de Lyon et commandant de la 14e région militaire afin qu’une information soit ouverte. L’intéressé est transféré à la prison militaire de Grenoble où il sera, aussi, entendu (17.09.1916) par un membre de la mission militaire italienne en France (Officier du renseignement italien). Le Suisse niera toujours qu’il a fourni des informations militaires à ses employeurs. L’instruction de cette affaire ne porte que sur des questions de droit, impliquant un retard considérable dans son déroulement. Le mardi 23 janvier 1917, il comparait devant le conseil de guerre de Grenoble et condamné à l’unanimité à 20 ans de détention pour intelligence avec l’ennemi. Durant l’année 1917, son pourvoi en révision puis en cassation sont rejetés. En 1922, il dépose un recours en grâce qui est rejeté. En 1927, un second recours en grâce aboutit. Il obtient une réduction de la moitié de sa peine (10 ans) et sa remise en liberté.

L'espion démasqué OES Max décède le 28 octobre 1961 à Saint-Gall (Suisse).

Par Yves Domange, décembre 2021

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